Edouard Ouédraogo, directeur de publication de l’Observateur Paalga : "Notre anniversaire est l’affaire de toute la presse"
mardi 27 mai 2008
<img2|left>C’est en principe le 24 mai 2008 que débuteront les festivités marquant le 35e anniversaire du quotidien "L’Observateur Paalga", le premier quotidien privé du Burkina. Les activités prévues dans le cadre de cette manifestation grandiose, la vie du journal ainsi que les perspectives, sont entre autres sujets sur lesquels nous nous sommes entretenu avec le directeur de publication de "L’Observateur Paalga", Edouard Ouédraogo, le 12 mai 2008.
"Le Pays" : "L’Observateur Paalga" a 35 ans. Sous quel signe la célébration du 35e anniversaire est-elle placée ?
Nous célébrerons cette anniversaire sous le signe de la confraternité. C’est du reste un confrère émérite, en l’occurrence le ministre Mahamoudou Ouédraogo, qui est actuellement conseiller spécial auprès du chef de l’Etat, que nous avons choisi pour parrainer nos activités. C’est pour dire que nous en faisons d’abord une affaire de la presse dans son ensemble. Cet anniversaire n’est donc pas seulement l’affaire de "L’Observateur Paalga" mais celle de l’ensemble de la presse, surtout de la presse écrite. Nous sommes le premier quotidien imprimé illustré par la photo de ce pays, pour ne pas dire du bloc francophone de l’Afrique de l’Ouest. Donc, tous les journaux qui sont venus après nous doivent se sentir concernés par cet anniversaire. Le fait que vous soyez là pour réaliser cette interview est la preuve que vous en faites aussi votre affaire. Il en est de même de l’ensemble des confrères qui depuis que nous avons fait l’annonce de cette manifestation, le 28 avril 2008, ne manquent pas, chacun à sa manière, de s’associer aux préparatifs en rendant l’événement plus visible.
Quelles sont les activités phares de cette célébration ?
Nous avons prévu un certain nombre de manifestations dont un marathon qui va partir du siège du journal le 24 mai à 6 h du matin. Et nous serions très heureux que l’ensemble des confrères, surtout les jeunes, viennent et participent au départ. Même s’ils ne sont pas des marathoniens, même s’ils ne sont pas sûrs d’aller jusqu’au bout, nous serions content que tous les confrères soient là et qu’ensemble nous donnions le départ de ce marathon qui est une première dans ce pays et que nous souhaiterions pouvoir institutionnaliser. Nous ne pourrons jamais le faire sans l’appui d’abord du monde sportif, mais aussi de l’ensemble de nos confrères. S’agissant des autres manifestations, il y aura le 25 mai 2008, le football atypique. Atypique parce qu’il ne met pas en jeu les équipes conventionnelles, mais les supporters de l’EFO contre ceux de l’ASFA-Yennenga. Ensuite, viendra le match tant attendu, celui opposant la mouvance majoritaire à la mouvance opposition. Ces deux matchs seront arbitrés par des trios arbitraux féminins. Enfin, il y aura le grand dassandaaga le 31 mai à Kenfanguè. Comme son nom l’indique en mooré, le dassandaaga est une fête foraine au cours de laquelle la jeunesse s’exprime. Dans le temps, c’était vraiment un grand rendez-vous de la jeunesse au cours duquel les contacts se nouaient. Nous voudrions vraiment capter la magie de Kenfanguè où se déroule régulièrement un marché qui attire beaucoup de monde. Nous allons déporter la fête là-bas de manière à ce que ce jour-là ce soit quelque chose d’inédit. Pour que la fête soit vraiment belle, nous demandons aux gens de faire l’effort de venir en Faso Dan Fani. Cela ne suppose pas qu’il faut forcement porter une tenue de son ethnie, peu importe la tenue que vous allez porter, pourvu qu’elle soit en Faso Dan Fani.
Par rapport aux matchs atypiques comme vous le dites vous-même, pourquoi un match opposition # majorité ?
Le symbole est que nous sommes de l’information, nous avons notre rôle à jouer. Les partis politiques ont aussi leur rôle à jouer et nous pensons que chacun de nous doit jouer son rôle dans le sens des espaces ouverts et autorisés par la Constitution, dans la plus grande ouverture d’esprit, dans la plus grande des tolérances. Et c’est cet esprit que nous voulons justement aider à rappeler. Que l’on soit de la majorité ou de l’opposition, il s’agit d’un sacerdoce dans lequel chacun apporte le meilleur de lui-même, dans le respect bien compris de la différence des uns et des autres. Nous souhaitons vraiment que ces matchs aident à apaiser et civiliser davantage les rapports majorité - opposition et d’une manière générale le débat politique dans notre pays. Imaginez-vous Norbert Tiendrébéogo, Me Sankara, Laurent Bado, d’un côté, de l’autre Dim Salif, Léonard Compaoré, etc. Je ne sais pas, mais ce sera un régal ! Déjà, des réactions qui nous parviennent, il semble que tout le monde a été réceptif et que ce sera un grand rendez-vous.
Il a été aussi fait cas entre temps du prix littéraire roman paalga ...
Oui, là aussi c’est une idée que nous avons eue. En plus de ce que fait déjà la Semaine nationale de la culture et d’autres instances, nous voulons, à travers la création du prix littéraire roman paalga, stimuler les activités littéraires, la création romanesque au niveau surtout de la jeunesse.
Comment vont les préparatifs ?
Les préparatifs vont bon train. Mais évidemment, non sans angoisse. Au fur et à mesure que l’échéance approche, nous sentons la pression et commençons à ne pas bien dormir. Mais il en est toujours ainsi. Quand on prépare un événement d’une certaine importance, on n’est jamais sûr d’être fin prêt. Sur ce plan, nous ne serons jamais sûr, nous ne sommes pas sûrs aujourd’hui et nous ne serons jamais sûr d’être fin prêt. Mais nous faisons comme nous pouvons et nous pensons que le jour venu, normalement ça devrait bien se dérouler.
Une manifestation de ce genre nécessite forcement une forte somme d’argent. Quelle somme aurez-vous à débourser pour les festivités marquant ce 35e anniversaire ?
A la date d’aujourd’hui (ndlr, 12 mai 2008), il est difficile pour moi d’arrêter un montant, dans la mesure où nous avons des contacts, nous avons sollicité des prestations et les propositions sont en train de nous parvenir. Nous ne pouvons pas faire, pour l’instant, le point avec vraiment le minimum d’erreurs. Mais, il faut dire que pour tout bien boucler, il faut quand même 10 millions de F CFA. Il y a aussi des manifestations qui ne sont pas encore prévues, que nous ne pourront pas réaliser dans la semaine du 24 au 31 mai. Nous comptions tenir un colloque international sur le thème "Les médias africains face au numérique : menace ou opportunité ?" Si on ajoutait cette manifestation, il aurait fallu compter au moins une trentaine, voire une quarantaine de millions de F CFA. Par rapport à ce colloque, nous n’avons pas encore bouclé le budget, mais nous comptons quand même le tenir courant 2008 qui sera toujours l’année anniversaire.
Par ailleurs, outre les manifestations publiques, il y aura aussi des manifestations privées, d’ordre spirituel, mais qui seront ouvertes aussi parce que le journal regroupe toutes les confessions religieuses. Nous aurons une manifestation catholique, notamment une messe d’action de grâce, le jour-même de l’anniversaire, c’est-à-dire le 28 mai à la Rotonde. Nous aurons le 30 mai, soit la veille même du grand dassandaaga, un doua à la grande mosquée de Ouagadougou. Depuis 35 ans nous sommes voisin avec la grande mosquée. Il y aura aussi un culte protestant. Nous voulons aussi qu’à l’arrivée du marathon à Laye, il y ait une libation puisque nous sommes quand même tous issus, par nos parents, nos grands parents, de l’animisme et certains d’entre nous sont quand même toujours là-dedans.
Pouvez-vous nous faire, de façon succincte, l’historique du journal ?
D’abord, pour la petite histoire, sachez que votre directeur, mon petit frère et ami Sigué (ndlr, DP de "Le Pays") a été une des plumes de ce journal quand il était directeur de la presse du président Saye Zerbo. Il signait sous le pseudonyme "Pélican". Vous voyez que j’avais raison de dire que c’est la fête de toute la presse. Sans entrer dans les détails, les grandes dates qui ont marqué la vie du journal sont le lancement du premier numéro le 28 mai 1973 ; de 73 jusqu’à juin 1984 nous avons vendu sans problème, sans discontinuer. Le 10 juin 1984, sous la révolution sankariste, il y a eu l’incendie de l’imprimerie du journal. Après cet incendie, nous n’avions plus de moyen d’impression et cela nous a contraint à une traversée du désert de sept années. Après l’avènement du Front populaire, nous avons lancé un numéro le 27 janvier 1989 qui a été, je dirais, censuré. Le numéro est sorti à la surprise générale, et les autorités de l’époque, notamment les CR (ndlr, Comités révolutionnaires) ont jugé intolérable la parution de ce numéro et il y a eu une cavale qui a été montée contre le journal.
On a crié sur tous les toits que sa parution était illégale alors que ce n’était pas vrai et cela a conduit à la mise sous scellé de nos locaux du 30 janvier 1989 au 30 janvier 1990 et la coupure de la fourniture d’électricité. Cela veut dire qu’à partir du 30 janvier 1989, pour être sûr que nous n’allons pas pouvoir lancer un numéro, non seulement on a scellé les locaux, mais la SONABEL a été requise de venir décrocher le fil qui fournit le courant. Le 27 janvier 1989 il y a eu la reprise manquée du journal à travers le numéro 2856. Le 30 janvier est intervenue la mise sous scellé de nos locaux et, enfin, 15 février 1991, reprise définitive des parutions du journal sous l’appellation de "L’Observateur Paalga".
Quand on a scellé nos locaux, les autorités ont eu le temps de prendre une ordonnance en date du 30 août 1990 faisant maintenant obligation à chaque journal, à tout journal qui a cessé de paraître quelles que soient les raisons, de demander une autorisation pour pouvoir paraître. Donc nous tombions maintenant sous le coup de cette nouvelle mesure. Nous avons sollicité une autorisation et on nous a dit que si nous voulions paraître de changer obligatoirement le nom du journal. Alors nous avons choisi de prendre désormais le nom "L’Observateur Paalga" (ndlr, "Paalga", mot mooré, veut dire nouveau), parce que nous tenions à garder le nom "L’Observateur" avec son logo. Evidemment, à l’époque le contexte international aussi poussait à la démocratisation et cela a favorisé notre reprise sous le nom de "L’Observateur Paalga".
L’Observateur a été incendié sous la révolution d’Août. Que reprochait-on exactement au journal ?
Je ne peux pas le dire avec certitude. Mais selon la logique de ceux qui étaient au pouvoir et qui était une logique de type marxiste, L’Observateur avait fini de jouer son rôle historique. Ce rôle historique a consisté, pendant une dizaine d’années, à permettre l’éclosion du débat, la maturation des idées y compris celles révolutionnaires puisque nous étions l’organe à travers lequel tout le monde, même les étudiants, exprimait ses idées. Justement, à travers nos colonnes, à partir de 1973 même il était déjà question de révolution démocratique et populaire. Mais comme nous sommes un journal d’informations générales ouvert à toutes les idées y compris même celles que nous ne partageons pas, on peut dire que ceux qui préparaient la révolution ont bien profité de nos colonnes. Est-ce que vous savez que Thomas Sankara, quand il était jeune officier à Pô, a été notre dépositaire ? Ce sont des gens qui se sont servi du journal parce qu’il en voyaient une utilité. Mais à partir du moment où ils sont arrivés au pouvoir, ils estimaient que les libertés telles qu’on les conçoit sous les régimes bourgeois n’avaient plus de raison d’être. Permettre le pluralisme politique, permettre à tout le monde de contester le régime en place, cela n’était plus possible. C’est pour cela que "Sidwaya" a été créé le 5 avril 1984 et a été appelé "Journal d’informations et de mobilisation du peuple". Mais Sidwaya, à côté de L’Observateur, cela ne marchait pas ; les gens ne l’achetaient pas parce que Sidwaya maniait la langue de bois alors que nous restions à côté le journal où il y avait quand même le souffle de la liberté. Cela ne pouvait pas durer. Et il y a eu plusieurs tendances, à cet effet, mais la trouvaille a été de brûler l’imprimerie. Là, il n’ y avait pas de signature.
Quel pourrait être l’apport, selon vous, de la presse pour l’affermissement de la démocratie ?
D’abord la démocratie est une conquête de tous les jours et de tous les instants. Nulle part, elle n’est achevée surtout pas dans nos pays où tout est vraiment mouvant et personne ne peut jurer que nous sommes définitivement engagés dans la voie démocratique et qu’il n’y a pas possibilité d’un retour en arrière. On souhaite que cela ne soit pas possible, mais on ne peut pas l’affirmer de manière vraiment péremptoire. Donc, il nous appartient, tous, à chacun, les journaux, les journalistes, les partis politiques, les syndicats, la société civile, de travailler à consolider chaque jour davantage notre processus et sur ce plan, le rôle de la presse est vraiment angulaire. Malheureusement, nous travaillons, en dépit des apparences, dans des conditions très précaires et nous devons nous accrocher, faire en sorte que, en tout cas, ce ne soit pas par notre faute que la démocratie puisse régresser dans notre pays.
Comment le journal se porte-t-il aujourd’hui en terme de notoriété et sur le plan économique ? Quelles sont vos perspectives pour "L’Observateur Paalga" ?
En terme de notoriété, nous avons quand même la notoriété que nous a conférée notre histoire. Nous avons quand même contribué à façonner l’itinéraire démocratique dans ce pays en créant un espace d’expression libre pour tout le monde. Cela nous a conféré une certaine légitimité. Et vu aussi le martyre que nous avons souffert à travers l’incendie et la reprise manquée et même sous les autres régimes. Car, même sous la IIIe République, et presque sous tous les régimes du reste, nous avons été saisi à plusieurs reprises. Tout cela a contribué quand même à nous donner une certaine légitimité d’autant plus qu’à l’époque, les journalistes n’avaient pas cette solidarité internationale qui entoure aujourd’hui le métier de journaliste. Aujourd’hui, même si vous êtes simplement interpellé, tout de suite tout le monde va en parler. Mais à notre temps, combien de fois j’ai été à la gendarmerie, à la police, sans que personne ne pipe mot ? Maintenant, sur le plan économique, nous sommes obligés de partager aujourd’hui le marché de la vente, le marché publicitaire avec les autres confrères. Nous savons que c’est un marché assez restreint. Mais, j’ai été très heureux quand les journaux ont commencé à venir pour nous épauler parce que quand nous étions seul, non seulement nous avions tendance à dormir sur nos lauriers, donc à nous encrasser dans la médiocrité, mais le travail était devenu beaucoup plus compliqué parce que la société est complexe et elle se complexifie de plus en plus. Donc elle a besoin de beaucoup d’autres espaces d’expression et un seul journal ne peut pas prendre en compte toutes les sollicitations, tous les desiderata. Et quand les autres sont venus, nous avons été content parce que quand on est démocrate, on accepte la concurrence qui est le premier facteur du progrès. Le monopole n’a jamais aidé personne. Voyez même en matière économique, dans les pays où il y a eu des monopoles, l’économie a fini par des naufrages.
En tout cas, nous ne nous plaignons pas, mais cela pouvait être mieux et nous travaillons et souhaitons que sur le plan économique, le journal se porte de mieux en mieux.
Que représente "L’Observateur Paalga" pour vous ?
Pour moi, c’est l’oeuvre de ma vie. Je n’étais pas initialement destiné au journalisme mais à l’enseignement, où j’ai passé trois bonnes années. Mais je suis venu au journalisme, je me suis formé sur le tas. Je suis quand même raisonnablement satisfait du travail qui a été accompli, de ce que nous avons pu faire, à travers ce journal, pour notre pays, de ce que moi-même j’ai pu en tirer comme motif de satisfaction personnelle, comme peut-être aussi source de souffrance. C’est tout cela aussi qui aide à accomplir un homme. Donc, j’ai vraiment tiré de ce journal le meilleur qui pouvait se concevoir pour ma réalisation en tant qu’homme, pour ma réalisation en tant que chef de famille, ma réalisation aussi en tant que citoyen burkinabè qui, tout en gagnant son pain à travers l’entreprise qu’il dirige, aide aussi d’autres Burkinabè à gagner leur pain, à s’occuper de leurs familles, à envoyer leurs enfants à l’école, à les soigner quand ils sont malades. Quand je vois qu’aujourd’hui nous avons plus de 70 personnes officiellement déclarées à la Caisse, des collaborateurs extérieurs, de sorte qu’aujourd’hui nous avoisinons la centaine de personnes, s’il y a plusieurs petites entreprises de ce genre dans notre pays, le tissu économique du Burkina ne pourrait qu’en sortir fortifié, grandi et porteur d’espoir pour l’ensemble de nos populations.
Propos recueillis par Lassina Fabrice SANOU
Le Pays