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Burkina/Médias : « Il y a beaucoup de femmes dans les rédactions, mais elles ne sont pas nombreuses à avoir des postes de responsabilité », déplore Vanessa Diasso, rédactrice en chef de Burkina Info

lundi 29 avril 2024

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Rédactrice en chef de la télévision Burkina Info, Vanessa Diasso est l’une des rares femmes qui occupent ce poste au sein de cet unique média télévisuel d’information en continu du pays. Dans cette interview, elle nous parle de sa passion pour le journalisme, de ses responsabilités de rédactrice en chef et fait part de son regard sur la place des femmes dans les médias burkinabè.


Lefaso.net : Que peut-on savoir du parcours qui vous a conduit au journalisme ?

Vanessa Diasso : Après l’obtention de mon baccalauréat série A4 au lycée Marien N’Gouabi, j’ai opté pour le journalisme. C’est un métier qui me passionne depuis tout petit. Je me suis donc inscrite à L’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication (ISTIC). Après, j’ai aussi fait une école de formation de journalistes et communicateurs au Niger. De retour, j’ai fait l’Université libre du Burkina (ULB) ou j’ai poursuivi jusqu’en master. C’est à la suite de tout cela que j’ai intégré radio Omega en 2012. C’était mon tout premier boulot. Trois ans après, j’ai rejoint Burkina Info pour tenter une nouvelle aventure avec la télé aussi.

Vous êtes l’une des rares femmes rédactrices en chef dans l’espace médiatique burkinabè. Comment avez-vous accueilli cette nomination ?

En mai 2015 alors que Burkina Info venait d’ouvrir, j’étais présentatrice du Journal télévisé (JT). En 2018, je suis nommée rédactrice en chef adjointe. En 2019, j’ai été confirmée au poste de rédactrice en chef. La nomination est venue après le travail abattu en tant que présentatrice, rédactrice en chef adjointe et autres. Je crois que cette nomination est le résultat de la qualité du travail que j’ai eu à abattre au niveau du média.

Comment exercez-vous cette responsabilité ?

C’est une grosse responsabilité parce que ce n’est pas facile d’avoir à sa charge des collaborateurs qui ont leur tempérament, leur manière de voir l’actualité. Tous les jours, nous nous réunissons pour la conférence de rédaction où on discute de sujets d’actualité, du choix des sujets d’initiative et leurs angles de traitement. Lorsqu’il y a des difficultés sur le terrain, les journalistes reviennent vers moi et j’essaie de faire ce que je peux pour apporter des solutions. Il faut être toujours à l’affut de l’actualité. Vous le savez bien, nous sommes une télévision 100% informations. Donc, nous avons le devoir d’être aux aguets pour que l’actualité ne nous échappe pas. Ce qui nous amène à suivre permanemment les autres médias au niveau national et international. Il y a aussi la question de la coordination à l’interne.

A Burkina Info, nous avons quatre sections. Il y a le web, l’édition, journaliste reporter d’image (JRI) et la section présentateurs. Il faut que ces différentes sections fonctionnent parfaitement. Cela veut dire que je dois veiller sur ces aspects pour qu’on ait tout le temps un journal télévisé de bonne qualité pour les téléspectateurs.

Comment voyez-vous la pratique journalistique dans ce contexte de crise sécuritaire et humanitaire au Burkina ?

Je dirai qu’il y a beaucoup d’incompréhensions dues à l’ignorance de ce qu’est notre métier. Nous ne sommes pas à la base des faits. Nous traitons les faits que nous voyons. Notre travail consiste à informer l’opinion sur les faits. Ce ne sont pas les journalistes le problème. Ces incompréhensions ont été davantage envenimées avec certaines sorties des autorités qui tentent de faire croire qu’il faut qu’on change la pratique. Ce qui laisse croire que c’est nous le problème. Ce n’est pas les journaliste le problème.

Pour certaines personnes, les journalistes burkinabè ne sont pas trop engagés dans la reconquête du territoire. Est-ce que vous comprenez cette critique qui vient souvent des citoyens lambda mais aussi des autorités comme vous le disiez plus tôt ?

Je comprends la critique parce que telle que présentée, elle n’est pas traitée sur le plan professionnel, journalistique. C’est traité sur un plan politique. Les premiers enlèvements, les journalistes en ont fait cas. L’opinion en a pris connaissance via les médias. Les médias ont été toujours professionnels dans le cadre du traitement de l’information au Burkina Faso et même jusqu’à présent. Ce sont des allégations erronées qui ne devraient pas être. Cela rend encore difficile notre travail actuellement. Parce qu’il y a certaines activités où quand on se présente comme journaliste, ce n’est pas évident qu’on t’accueille. Cela n’arrange pas tout le monde. Au-delà du fait que nous allons vers les citoyens à la recherche de l’information, il y a des citoyens aussi qui viennent vers nous. Parce qu’ils ont confiance aux journalistes et viennent exposer leurs cas parce qu’il n’ont pas eu gain de cause ailleurs. On en reçoit plusieurs cas par jour ici.

Comment a été votre premier JT ?

Je m’en souviens encore comme si c’était hier. Au début, on voulait le faire parce qu’on voulait passer à la télé. C’était l’une de mes première raisons pour faire la télé. Quand on est devant l’objectif et on se dit que ce sont des milliers de personnes qui vont vous voir, il y a le trac qui vient. Affronter ce trac, ce n’est pas facile. Mais avec la première équipe en son temps composé de l’ancien ministre Rémi Fulgance Dandjinou comme directeur général et plusieurs autres collaborateurs, nous avons été rassurés. Mon tout premier JT, c’était le 3 mai 2015 à 20h. Dès que je suis descendue, ma première question était de savoir comment était le JT ? Immédiatement, je suis allée regarder l’enregistrement pour voir le rendu.

Quelles sont les anecdotes qui vous restent en tête après tant d’années de pratique ?

Je ne saurai parler d’anecdote sans parler de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 où nous avons vu les citoyens, armés de pierres pour essayer de se protéger contre les gaz. Jeune journaliste que j’étais, c’était un climat de terreur mais en même temps de passion. Parce que j’avais aussi la possibilité de retourner à la rédaction puisque c’était devenu trop risqué pour moi. Mais je voulais voir jusqu’où on allait arriver. De l’Assemblée nationale au siège du Chef de file de l’opposition, c’était chaud partout.

La deuxième anecdote, c’est la situation actuelle. Lorsque nous invitons certains acteurs, ils se retiennent alors qu’on sait qu’ils peuvent dire plus. Ils craignent d’être enlevés ou réquisitionnés. Souvent, lorsque nous finissons l’émission, dans les échanges en off sur les sujets que nous avons eu à aborder sur le plateau, il y a des choses intéressantes qui sont dites. Vous demandez pourquoi ils ne l’ont pas dit sur le plateau.

Certains animateurs des émissions débats disent qu’il y a de moins en moins de personnes qui acceptent de venir sur les plateaux. Est-ce que Burkina Info rencontre aussi la même réalité ?

Nous avons de moins en moins d’invités pour les émissions débats sur les sujets d’actualité nationale. Lorsqu’on parle de santé, d’éducation, d’environnement, ils viennent. Mais lorsqu’on parle de politique, de gouvernance, c’est difficile d’avoir des invités. C’est l’occasion pour nous de dire merci à ceux qui, malgré ce contexte difficile, parviennent à venir et à donner leurs points de vue, même s’ils le font avec beaucoup de réserve. Ils arrivent à interpeller les autorités, à éveiller les consciences.

Dans les médias burkinabè, il y a rarement de femmes qui occupent des postes de responsabilité comme vous par exemple. Cette situation est-elle liée à un problème de compétences ou à une réticence des femmes elles-mêmes, selon vous ?

Il y a beaucoup de femmes dans les rédactions, mais elles ne sont pas nombreuses à avoir des postes de responsabilité. Je pense qu’il y a surtout le refus de certaines parce que cela implique beaucoup de responsabilités et de sacrifices aussi. Nous sommes obligées de nous effacer sur un plan pour être plus présentes sur l’autre. C’est à dire que l’on peut être plus présente par exemple sur le plan social que professionnel. C’est souvent difficile de pouvoir tenir les deux bouts. C’est à cause de toutes ces raisons que certaines personnes, lorsqu’elles sont pressenties pour certains postes, émettent des réserves. Sinon, je ne pense pas que ce soit un problème de compétences parce que les écoles professionnelles forment beaucoup de femmes actuellement dans le journalisme. Nous recevons beaucoup dans les demandes de stage dont 80% de femmes. Ce n’est pas un problème de compétences. Les sacrifices qu’il faut consentir pèsent dans la balance aussi.

Comment arrivez-vous à concilier votre vie familiale et professionnelle ?

Ce n’est pas toujours facile. Mais nous cherchons toujours le juste milieu. A mon niveau, je dois dire merci parce que j’ai eu la chance d’avoir un époux qui me comprend et comprend aussi les exigences de mon métier. Dès le départ, il n’en a pas fait un problème parce qu’on travaille tous les jours. Les enfants aussi me comprennent. J’essaie de faire en sorte pour que nos congés coïncident pour pouvoir être à leurs petits soins et combler le manque. On essaie de trouver le juste milieu.

Avez-vous des modèles dans le journalisme ?

J’ai été inspirée par Mariam Vanessa Touré. J’ai eu l’occasion de le lui dire en face parce qu’on l’a reçue à Burkina Info. Nous avons beaucoup échangé. Ce fut l’occasion pour moi de la connaître et de lui dire merci pour le professionnalisme dont elle a pu faire preuve tout au long de sa carrière. Au delà d’elle, il y a beaucoup d’autres journalistes comme Rémi Fulgance Dandjinou qui nous a beaucoup orienté. Actuellement, nous sommes dirigés par Ismaël Ouédraogo qui continue de nous faire apprendre davantage. C’est toujours la passion qui nous anime.

Serge Ika Ki
Lefaso.net

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