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Burkina/Femmes journalistes : « Je pense que nous commençons à nous affirmer » Sanouhan Christine Coulibaly, journaliste à la télévision nationale

lundi 6 mai 2024

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Journaliste reporter d’image (JRI), présentatrice de Journal télévisé (JT), Sanouhan Christine Coulibaly est l’une des étoiles montantes de la radiodiffusion télévision du Burkina (RTB). De la présentation de l’édition de la mi-journée, le 13h, elle est passée désormais à la grande édition, celle de 20h. Pour la journaliste, ce passage au 20h est un challenge mais pas une fin en soi. Même si elle se réjouit du vedettariat des femmes, elle estime que la forte présence de ces dernières à l’antenne est la confirmation de leur compétence. C’est la confirmation de leur savoir-faire parce que, dit-elle, on ne peut pas longtemps tolérer la médiocrité à l’antenne.


Lefaso.net : Comment êtes-vous arrivée dans le journalisme ?

Sanouhan Christine Coulibaly : Il faut dire que j’ai eu deux passions. La première après le bac, c’était le journalisme. A l’époque, j’ai voulu faire art et communication à l’université. Mais je n’ai pas pu déposer mes dossiers pour faire cette filière. A défaut de cette filière, je me suis inscrite en histoire et archéologie. Parce que l’histoire aussi me passionnait un peu. C’est l’une des matières que j’aimais bien au lycée. A l’époque, on nous disait qu’en faisant cette filière, il était possible à partir de la 3e année de faire une bifurcation pour faire art et communication. Je me suis dis alors que rien n’est perdu et c’est ainsi que je me suis inscrite en histoire.

Mais là aussi, est née une autre passion : la diplomatie. C’est là que j’ai fait option histoire politique et relations internationales. Alors, j’ai commencé à faire les concours du ministère des Affaires étrangères, notamment, secrétaire des affaires étrangères et autres. Mais c’était compliqué et j’ai décidé de renouer avec mon premier amour, à savoir, le journalisme. C’est ainsi que j’ai fait le concours de l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication (ISTIC). J’ai été admise. Après ma formation, je suis sortie en 2010.

Pour résumer, je dirai que j’ai une licence en histoire, j’avais même à l’époque, commencé le master. Mais comme vous connaissez les réalités de l’université de Ouagadougou, ce n’est pas facile. Sinon j’ai même validé le cycle, il restait la soutenance. Le professeur étant inaccessible, il fallait trouver quelque chose à faire pour ne pas rester toujours aux dépens des parents. C’est pourquoi j’ai passé le journalisme et, Dieu merci, les choses se sont bien passées.

Comment expliquez-vous le choix pour la télévision ?

Pour vous dire vrai, j’ai aimé le journalisme mais je n’ai jamais rêvé faire la télévision. J’ai fait ma production de fin de cycle en radio, quand j’étais à l’école de formation. A la sortie, j’ai été affectée à la télé mais je suis tombée malade. J’ai été affectée à Bobo-Dioulasso où je ne voulais pas aller du tout. Quand nous avons fini à l’école, avant les affectations, j’ai reçu un appel d’un de nos enseignants qui était aussi directeur général de la RTB, Yacouba Traoré. Il m’a convoqué dans son bureau. Arrivée, il m’informe que je serai affectée à Bobo-Dioulasso pour faire de la télé. Je lui ai dit que ce n’est pas ce que je veux faire. Je lui ai dit qu’il est notre enseignant et qu’il connaît les aspirations de tous les étudiants. Je lui ai rappelé que j’ai fait ma production en radio, en plus , j’ai bossé dur pour être major de ma promotion dans l’optique de faire un choix.

M’envoyer à la télé, c’est de la force que vous êtes en train de me faire. Il m’a regardé et m’a dit d’aller réfléchir. C’est là que j’ai commencé à appeler certaines personnes proches du directeur général pour qu’elles interviennent en ma faveur. Mais peine perdue, il n’a pas accepté. Il dit qu’il est mon enseignant et me connais plus que quiconque. A la fin, je suis allée à Bobo malgré moi-même pour faire la télé. Conséquence, je tombais régulièrement malade. Je fais les examens mais il n’y a rien. Après le médecin m’a demandé ce que je faisais dans la vie et a cherché à savoir si tout se passe comme je veux. Quand je lui ai avoué que j’étais affectée à la télévision contre mon gré, il m’a dit que c’est la raison de ma maladie. Il m’a conseillé de me libérer, d’accepter les choses comme telles.

Après l’affectation, je suis allée voir le directeur en lui disant que j’espère que je viendrai lui dire merci un jour pour m’avoir fait la force (sourire).

En plus d’être JRI, vous êtes aussi présentatrice. Dites-nous comment vous avez vécu votre premier JT ?

J’ai fait mon premier JT à la RTB2, Hauts-Bassins. Le JT, à l’époque, était à 22h05. Quand je devais faire le JT, je suis allée m’assoir dans le studio tôt. Autour de moi, il y a avait les techniciens, une équipe très jeune aussi. Tout le monde faisait ses marques. A ma grande surprise, le générique est lancé à 22h00 au lieu de 22h05. Dans ma tête, le journal est à 22h05, donc j’étais assise en train de faire la répétition. Du coup, je suis à l’écran. J’ai dit qu’il n’est pas encore l’heure mais les techniciens disent de parler parce que le JT est lancé. Mais j’ai refusé de parler parce qu’on m’a pris au dépourvu et je ne savais pas quoi dire en plus. Pour éviter de dire des bêtises à l’antenne, j’ai demandé de couper. A 22h05, nous avons repris. C’est une anecdote qui m’a vraiment marquée. Il y avait le stress et tout. Ce n’était pas simple.

Maintenant que vous êtes rodée en la matière puisque vous présenté la grande édition de 20h. Dites nous comment vous avez accueilli cette nouvelle de la montée au 20h ?

Pour moi, le 20h n’était pas une fin en soi. Peut-être les gens vont trouver que c’est bizarre que je parle ainsi. Mais quand mon chef m’a appelée pour m’informer que je vais désormais monter au 20h, je lui ai demandé si j’ai mon avis à donner. Il a dit non et il m’a demandé après ce que j’avais comme avis. Je lui ai dit que je suis bien au 13h. Après réflexion, je me suis dit qu’il faut avancer aussi. Quand on reste bloquée au 13h, cela peut être vu comme un manque de compétences. J’ai donc accepté le challenge. Sinon la meilleure édition pour moi, c’est le 13h.

Vos confrères et consœurs à la présentation disent que le stress est leur quotidien. Comment arrivez-vous à dominer le stress ?

Je pense que chacun a sa manière. Moi particulièrement, j’essaie de faire abstraction de tous ces yeux, ce beau monde qui nous regarde. Je me mets dans ma tête que je suis seule face à la caméra et j’imagine que je m’adresse à un ami ou à un proche. Je fais tout pour ne pas penser que je suis suivie pas des milliers de personnes.

Avez-vous eu des modèles dans ce métier ? Si oui, qui sont-ils ?

Il y a rare de journalistes de notre génération qui n’ont pas été inspirées par Mariam Vanessa Touré. Quoique que je ne voulais pas faire la télé, mais Vanessa Touré est une journaliste qui m’inspirait par son éloquence, sa prestance, son habillement et autres. Vanessa Touré est la première personne que j’ai approchée pour avoir des conseils après avoir quitté Bobo pour venir à Ouagadougou. J’ai lui ai demandé si je peux la voir pour discuter avec elle. Elle avait une boutique non loin de là, je suis allée la rencontrer. Elle m’a donné des conseils, des astuces sur le plan professionnel et social. Peut-être qu’elle a oublié, j’avoue que ce sont ses conseils que j’applique aujourd’hui pour essayer de m’en sortir dans le milieu.

Les présentateurs ou présentatrices de télé sont vus comme des stars sinon même des stars. Comment supportez-vous le regard des gens que vous croisez dans la rue ?

Je ne me vois pas comme une star. Je me vois comme un agent qui qui sert la nation comme tout le monde. Je pense que le regard des gens me ramène à la réalité parce qu’on ne peut plus faire tout ce que nous voulons. La dernière fois, je suis allée en banque pour faire une opération. Il y a avait un petit souci et j’ai commencé à me plaindre avec la caissière. A ma grande surprise, elle me dit : « madame la journaliste, calmez vous ». Quand elle a dit cela, j’ai compris qu’il y a des choses que l’on ne peut plus se permettre. Mais souvent, je refuse que ma vie soit prise en otage. Une fois encore, de retour d’une mission, nous avons fait une escale dans une gargote. Quand on m’a servi, je sentais les regards insistants sur moi. J’ai fini par parler. Je leur ai dit que j’aime le plat au même titre qu’eux. J’essaie de vivre comme moi-même. Je veux rester telle que je suis. Ce métier ne doit pas me transformer.

Que pensez-vous de la pratique journalistique au Burkina dans ce contexte de crise sécuritaire et humanitaire ?

Je pense qu’il faut regarder la situation et juger ce qui est plus important. Est-ce qu’aujourd’hui, ma pratique journalistique apprise à l’école devrait être au-dessus de l’État ? Est-ce que les conditions sont réunies pour pratiquer ce journalisme que j’ai appris à l’école ? Je dirai non. Le journaliste doit apprendre à juger parce que c’est avant tout subjectif. Quand il va sur le terrain, l’angle de traitement est choisi par lui-même. Il faut faire le choix de ce qui est important. Et ce qui est important pour les Burkinabè aujourd’hui, je pense que c’est la survie de la nation. Au nom de cette survie de la nation, quelques concessions ne nous feront pas du mal même si on reste attaché aux principes fondamentaux du journalisme. Mais nous ne devrons pas perdre de vue l’intérêt supérieur qui est la nation. Sans nation, on ne parlera pas de journalisme. Ce sont des moments difficiles pour le journalisme. Je pense que ce n’est pas trop de nous demander de faire des concessions. Si la situation se normalise, nous serons en droit de revendiquer tout ce qu’il nous faut comme condition pour pratiquer le journalisme.

Quel regard avez-vous sur l’évolution des femmes journalistes dans le paysage médiatique au Burkina ?

C’est vrai que nous sommes de plus en plus nombreuses dans les organes de presse mais je suis un peu mitigée sur la valorisation des compétences. Par exemple, dans la présentation, cela ne gène pas les gens de ‘’balancer’’ les femmes . A un certain moment, je me demande si cette forte présence de femmes à l’antenne est le symbole que nous nous imposons par le travail ou bien c’est parce que nous sommes juste des femmes : comme dans les défilés de mode, on pense que tu es présentable ? Quand je pose la question, je pense que nous commençons à nous affirmer parce qu’on ne peut pas tolérer longtemps la médiocrité à l’antenne. Si nous sommes là où nous sommes c’est parce que nous avons mérité, même si je trouve qu’il y a encore de l’effort à faire pour valoriser le potentiel des femmes. Les femmes responsables dans les médias, c’est un peu rare.

Souvent, certaines considérations sont mises en avant pour expliquer. Certaines personnes pensent que nous avons des familles à gérer, nous sommes sentimentales et autres. Alors quand il s’agit du travail ordinaire, nous sommes souvent mises sur le même pied. Mais quand il s’agit de responsabilités, on trouve que n’allons pas pourvoir le faire. J’échangeais avec quelqu’un un jour sur ce sujet, je lui ai dit qu’on peut nous confier les responsabilités et nous juger aux résultats. Si nous échouons, vous allez faire le constat. Mais se fonder sur les à priori pour dire qu’elles ne vont pas pouvoir, je pense que c’est une vue de l’esprit. Il faut leur donner l’occasion de faire leurs preuves.

Comment arrivez-vous à concilier votre vie de couple et votre vie professionnelle ?

J’ai eu la chance de connaître mon conjoint étant dans le journalisme. Depuis le début, nous avons eu à parler de mon métier, des préjugés qui l’entourent. Quand j’ai été admise au concours, il y a un oncle qui m’a appelé pour me savonner correctement. Il m’a demandé pourquoi je fais ce concours parce qu’il aurait préféré que je fasse d’autres concours mais pas le journalisme. Il a commencé à citer les journalistes dont les mariages n’ont pas marché ou qui n’ont pas encore eu de conjoint. Je lui ai dit que nous n’avons pas les mêmes parcours. C’est pour vous dire que cela n’a pas été facile. Ce qui peut être toléré dans d’autres corps de métier par exemple, c’est difficile dans notre métier. Les regards sont braqués sur nous.

Même si nous faisons un faux pas tout le monde en parle. Les divorces sont partout mais quand il s’agit d’un journaliste ou d’une journaliste surtout, c’est vite interprété. Au début, j’ai donc dit à mon mari qu’il a deux possibilités. Soit il m’accepte avec mon métier ou il continue de chercher (sourire) parce que j’aime ce métier et je n’aimerais pas que je sois obligée d’abandonner cette passion parce qu’on ne se comprend pas. On essaie de tenir, même si ce n’est pas facile.

A vos temps libre que faites-vous ?

J’essaie de profiter de ma famille. Je suis tellement absente que quand je ne suis pas à la télé, je suis à la maison. Je suis très casanière. Je sors avec les enfants pour qu’ils profitent de leur maman. Sinon, en termes de loisirs, je ne sors pas trop. La télé, la lecture et les études puisque je reprends les cours.

Interview réalisée par Serge Ika Ki
Lefaso.net

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