
Burkina / Promotion de l’Intelligence artificielle : « Je peux aider à construire des outils numériques d’apprentissage accessibles sur des plateformes mobiles et PC », déclare Dr Olivier Lompo, enseignant-chercheur
lundi 27 janvier 2025
Avec l’Intelligence artificielle (IA), les travailleurs seront amenés à s’adapter à de nouvelles compétences et la main d’œuvre va être démultipliée. C’est la conviction du Burkinabè, Dr Olivier Lompo, maître de conférences en informatique et enseignant-chercheur dans les universités suisses et françaises. Créateur de deux intelligences artificielles pour des sociétés étrangères, Dr Olivier Lompo se dit disponible à accompagner l’Etat burkinabè dans ses projets de l’IA. Pour lui, il faut vulgariser les IA par de petites actions simples et compréhensibles par tous et à toutes les échelles sociales. Sur la question d’un probable remplacement de l’homme dans certains secteurs d’activité, il estime que le Burkina Faso est très loin des processus de remplacement dans les métiers par les technologies IA.
Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter ?
Dr Olivier Lompo : Je suis Dr Olivier Lompo, maître de conférences en informatique, ingénieur polytechnicien de formation reconnu sur le plan international dans le domaine des technologies numériques. Je suis également formé à Microcity I Neufchâtel Innovation, qui est un pôle qui valorise les compétences en recherche, développement, transfert technologique et industrialisation.
Je suis spécialisé dans les réseaux de capteurs sans fil et des systèmes communicants qui est d’ailleurs un vaste domaine technologique qui permet d’optimiser les processus, de réduire les coûts et de prendre des décisions surtout éclairées grâce à des données en temps réel. Tous les domaines d’application de la vie humaine et animale sont impactés par ma spécialité.
Par définition, que peut-on retenir de l’IA ?
L’IA est juste est un ensemble de processus qui simule l’intelligence humaine et animale.
Quel est son historique ?
Tout a commencé par le tout premier ordinateur capable de traiter des données de manière autonome. Il faut noter que la donnée représente la matière première dans le processus de développement des IA.
Vous savez, la conférence de Dortmund en 1956 a marqué le début officiel de l’adoption du terme « intelligence artificielle ». C’est alors que des chercheurs ont pu développer les premiers algorithmes et systèmes capables de résoudre des problèmes simples.
Un algorithme est simplement considéré comme une recette de gâteau ou même comme un processus de fabrication d’un pagne Faso Dan Fani. Un chercheur comme Geoffrey Hinton est considéré comme le père fondateur de la théorie du perceptron multicouches basé sur l’algorithme de rétropropagation. C’est alors qu’est né l’apprentissage profond qui est tout simplement le Deep Learning.
Ce qui va révolutionner les IA, c’est lorsque Yann LeCun, le scientifique en chef de chez Meta, va travailler avec d’autres scientifiques sur la théorie du perceptron convolutif qui, d’ailleurs, a été découverte bien plus tôt en 1980 par Kunihiko Fukushima. Il faut noter que les réseaux de neurones convolutifs sont appliqués aujourd’hui dans la reconnaissance d’images et de vidéos, dans les systèmes de recommandation ainsi que dans le traitement du langage naturel.
Dans les années 1990, le Machine Learning ou l’apprentissage automatique bat son plein grâce à l’augmentation de la disponibilité des données pour les traitements et il faut aussi noter que pendant cette époque, les infrastructures matérielles comme les serveurs de chez IBM étaient devenues un peu plus performantes. C’est alors que Deep Blue de chez IBM bat le champion d’échecs Gary Kasparov en 1997.
Dans les années 2010, les performances explosent grâce à « l’apprentissage profond ». Vous avez certainement entendu parler de Deep Learning ? Grâce aux avancées majeures dans la reconnaissance d’images, la compréhension du langage naturel et l’autonomie des véhicules.
Une décennie plus tard, l’IA générative se démocratise lorsque ChatGPT, un agent conversationnel (en anglais vous entendez très souvent dire Chatbot) est lancé en fin 2022 par OpenAI que le monde populaire découvre les IA pour la première fois. En seulement 5 jours après son lancement ChatGPT atteint plus d’un million d’utilisateurs. À titre de comparaison, il a fallu environ 2,5 mois à Instagram pour atteindre 1 million de téléchargements à son lancement et à Netflix environ 3,5 ans pour atteindre 1 million d’utilisateurs.
ChatGPT utilise de grands modèles de langages appelés les Transformeurs Génératifs Préentraînés. Avec une évolution assez fulgurante je peux le dire nous sommes passés de GPT-4o depuis mai 2024 à la version GPT 4o1 depuis décembre 2024, qui vise à améliorer le raisonnement des modèles en leur permettant de « réfléchir » avant de répondre, ce qui améliore leurs performances que ce soit en mathématiques, en programmation, et surtout en raisonnement scientifique.
Qui est le pionnier de l’IA ?
Alors pour parler de pionnier, je citerai Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique qui a créé « la machine de Turing », la toute première à pouvoir interpréter des calculs sur une chaîne d’entrée de bits. Juste pour information, c’est aussi grâce aux travaux d’Alan Turing que le déchiffrage des codes des transmissions militaires allemands a été possible et que la seconde guerre mondiale a été raccourcie d’environ deux ans, sinon elle aurait duré beaucoup plus.
Quelle différence peut-on avoir entre l’IA et la robotique ?
Je pense qu’il y a beaucoup de similitudes. Ce sont deux domaines totalement complémentaires. Par contre, il existe quand-même de petites différences dans le sens où l’objet global des IA est de faire fonctionner des systèmes intelligents qui sont capables d’effectuer des missions complexes qui, habituellement, sont réalisées par des humains. Pendant que la robotique, elle, construit plutôt des machines capables d’effectuer des tâches physiques dans le monde réel et très souvent dans des environnements difficiles et répétitifs.
Quels sont les différents types d’IA ?
Je citerai les IA symboliques, les IA statistiques et les IA distribuées. Concernant les IA actuelles, sont majoritairement faibles et à mémoire limitée. D’énormes travaux de recherches sont aujourd’hui en cours pour atteindre la super-intelligence c’est-à-dire tendre vers les architectures non génératives.
Comment envisagez-vous l’IA dans le futur ?
Les recherches actuelles comme celles sur le JEPA (joint embedding predictive architecture) et les architectures non génératives comme le DINOv2 sont des modèles basés sur l’apprentissage auto-supervisé. Il faut noter que l’apprentissage supervisé se limite aux entraînements sur du texte, de l’image et de la voix, mais pas encore sur de la vidéo.
Donc pour prédire une architecture du monde réel, cela reste encore difficile, et d’ailleurs en général c’est partir d’une séquence de vidéo que le modèle JEPA entraîne les différents pixels de celle-ci afin de prédire la suite des mouvements de chaque pixel. Lorsque nous prenons l’exemple de la prédiction d’une vidéo, en supposant que nous avons une première vidéo Y qui veut prédire la suite de celle-ci que nous appellerons la vidéo X, il faudrait passer par un encodeur qui va permettre de minimiser le taux d’erreur de la prédiction afin de produire la suite de la vidéo Y.
J’aimerai citer comme exemple, ce que le modèle DIN0v2 a permis de faire et des travaux sont encore en cours sur cette architecture. Elle permet de segmenter par exemple des cellules biologiques ou les noyaux de cellules biologiques. Il faut noter que c’est un peu grâce à cette architecture que la modélisation en 3D d’une cellule biologique a pu être réalisée, sinon cela aurait pris 5 000 ans sans le DINOv2. Cela marque une percée technologique dans le domaine de la santé pour ne citer que cet exemple.
Les modèles génératifs, probabilistes et d’apprentissage par renforcement n’étant plus efficaces, dans les années à venir beaucoup de travaux de recherches vont être axés sur le « large scale world model training » qui devrait être en capacité d’entraîner des grands volumes de données sur de grosses infrastructures serveur comme sur les GPU et les clusters afin de simuler et de comprendre le monde réel qui est aujourd’hui très complexe.
Des recherches sont faites en ce moment sur les « algorithmes de planning ». Ce qui va révolutionner l’organisation des séquences d’actions pour permettre d’atteindre des objectifs très précis.
Les modèles d’IA travaillent à maîtriser les environnements incertains, pour que l’environnement de manière imprévisible. Quand on envoie un robot par exemple qui va naviguer dans un bâtiment inconnu ou même qui ne sait pas si la porte d’entrée est verrouillée ou pas avant d’essayer de l’ouvrir. Un drone peut être dévié de sa trajectoire par des rafales de vent, pour dire que la présence d’incertitudes est aujourd’hui une préoccupation pour les chercheurs qui croient aux processus décisionnels de Markov (MDP) qui permet de modéliser la prise de décision ou les résultats sont en partie aléatoires ou en partie sous contrôle du décideur.
Pour conclure, je dirai que nous travaillons sur des systèmes capables de comprendre, de raisonner, de penser et capables de planifier. On a l’impression que ces quatre systèmes que sont la compréhension, le raisonnement, la pensée et la planification sont les composants essentiels de l’intelligence. C’est ce que les LLMs (les grands modèles de langage) sont incapables de faire.
Tout cela pour vous dire que nous sommes encore loin de très bien reproduire l’intelligence humaine et animale.
Quel est l’impact de l’IA sur la science ?
Pour moi, la science c’est tout ! Si nous sommes tous d’accord que la science vise à explorer, à comprendre et surtout à expliquer les phénomènes naturels, sociaux par l’expérimentation et par la formulation de théories scientifiques, alors les IA ont un grand impact. Comme je l’ai expliqué au début de cette interview, l’IA va fortement accélérer les découvertes scientifiques. Prenons l’exemple du cas des molécules ou l’IA va jouer sur la modélisation en 3D d’une structure moléculaire. Aussi dans les domaines du climat, de l’informatique ou de l’astrophysique beaucoup de prédictions pourraient peut-être complètement améliorées. Je dirai que l’IA va sans doute repousser les limites de la connaissance scientifique.
Quel est l’impact de l’IA sur le travail et la main d’œuvre ?
Les emplois vont se moderniser. Il va y avoir une automatisation des tâches répétitives. Cela va sans doute augmenter la productivité en créant de nouveaux métiers. Vous savez, beaucoup de personnes disent que des emplois vont être supprimés. C’est une réalité. Nous pouvons citer comme exemple certains métiers dans les usines, les métiers liés à la saisie des données. Par contre deux fois plus de métiers vont être stimulés, voire même la création de nouveaux métiers. Les travailleurs seront donc amenés à s’adapter à de nouvelles compétences, la main d’œuvre va être démultipliée.
Peut-on parler d’usage de l’IA au Burkina Faso ?
Vous savez, la première connexion en IP du Burkina Faso à Internet fut réalisée par Sylvain Zongo, c’est notre pionnier. En avril 1996, en Afrique du sud durant laquelle une connexion de type X25 fut utilisée pour se connecter à une base de données hébergée à Ouagadougou à IRD (Ex ORSTOM). Juste pour vous dire que l’ouverture de l’internet au grand public est très récente et d’ailleurs elle fut effective en mars 1997.
Au Burkina Faso, nous ne pouvons vraiment pas parler d’usages profond des IA. Les modèles d’IA qui sont créés et entraînés sont clairement basés sur de faibles quantités de données. Il nous faudrait déjà de grosses infrastructures GPU avant toute chose. Dans notre système de santé, le Burkina pourrait utiliser les IA pour par exemple poser un diagnostic médical comme la reconnaissance automatique d’un cancer en imagerie médicale, un diagnostic de rétinopathie, de métastases de cancer du sein et d’autres problèmes biomédicaux, de classer les arythmies cardiovasculaires et même des pronostics et prédictions de la mortalité hospitalière ainsi que des outils de suivi des admissions et des réadmissions aux urgences.
Toutes ces solutions sont énormes, cela montre combien nous pouvons utiliser utilement les IA pour créer et voire améliorer nos soins de santé.
Qu’est-ce que le Burkina Faso peut faire pour promouvoir les domaines des IA ?
Je pense qu’il faut déjà comprendre et apprendre. Les IA sont et demeurent une technologie forte et bien qu’accessibles, elles sont sans doute très complexes.
Le Burkina devrait à travers son programme Pack Digital travailler à vulgariser au maximum les IA. L’inaccessibilité à la langue française et à l’anglais ne doit pas être un frein. Il existe des IA fonctionnelles et accessibles sans aucun besoin d’internet. Nous pouvons bien les développer surtout en open source et les rendre accessibles à tous les Burkinabé. En collaboration avec les universités et les universitaires, de grands modèles de langage peuvent être entraînés dans l’idée de mettre à disposition au public des IA en langues nationales. J’insiste là-dessus parce que cela va sans doute participer à l’éveil de nos populations, et surtout stimuler leurs esprits de curiosité et de créativité.
Je propose que le gouvernement mette en place des bus itinérants d’éducation populaire au numérique. L’intégration des langues nationales va accélérer l’apprentissage. Je peux aider à construire des outils numériques d’apprentissage accessibles sur des plateformes mobile et PC. Le secret se trouve dans la connaissance des technologies IA, la culture numérique n’a point de langue d’accès, c’est plutôt dans la motivation et la volonté d’apprendre que nous comprendrons mieux ces IA.
Les IA ne sont pas faites uniquement pour les populations scolarisées et pour les intellectuels. Même quand on prend les cas d’usage des ChatGPT, nous pourrions, comme dans les autres pays industrialisés, créer nos propres modèles d’apprentissage tout en les adaptant à nos langues nationales. Le Burkina Faso, en créant ses propres grappes de serveurs, va certainement augmenter la puissance de calcul de ses données à traiter et baisser considérablement les taux d’erreurs actuels sur les prédictions.
Le gouvernement pourrait également offrir des bourses d’études et de stages à nos ingénieurs à l’étranger afin qu’ils puissent performer. « Un ingénieur qui ne crée pas de solutions n’est pas un bon ingénieur ! »
Développer une plateforme gouvernementale encadrée par le ministère de la Transition digitale, des postes et des communications électroniques dédiés à la découverte et aux usages des outils IA. Pour moi, cela pourrait être une plateforme légale qui va diffuser des informations officielles sur les opportunités et l’état de l’art des IA dans le monde et particulièrement ce qui est fait et qui pourrait être fait pour le bien social de chaque Burkinabè.
J’ai pu faire des missions chez Googleplex, en Irlande comme en Californie et bien d’autres colloques et conférences dans le monde ou l’on pouvait discuter avec les savants de ce monde comme Yann Le Cun, Demis Hassabis ou Michael Jordan. Nous pouvons attirer des talents au Burkina Faso, nous pouvons nous faire accompagner par des ingénieurs et des chercheurs de haut niveau, tout est possible quand nous mettons les moyens pour atteindre notre vision !
Certains travailleurs se méfient de l’IA parce qu’ils estiment qu’il va les remplacer. Faut-il vraiment avoir des craintes ?
L‘usage de l’IA est aujourd’hui une réalité mondiale. Nous ne devons pas nous exclure mais plutôt rester dans la dynamique d’apprentissage des technologies IA. Au Burkina Faso, nous sommes encore très loin des processus de remplacement dans les métiers par les technologies IA comme certains le pensent.
Je pense que nous sommes dans la course vers l’autonomisation de nos ressources énergétiques. L’intégration des outils automatisés dans les processus de fabrication dans nos industries et même dans nos établissements publics et privés est progressivement mise en œuvre.
Nous devons travailler à comprendre d’abord nos usages sur les IA afin de mieux les utiliser de manière responsable. Lorsqu’une politique de transformation numérique profonde est engagée, les travailleurs sont rassurés et se sentent en toute confiance.
Et pour conclure, pour le cas du Burkina Faso, nous ne devons avoir aucune crainte. Pour avoir ce sentiment, il faudrait d’abord que le gouvernement travaille à vulgariser les IA de façon populaire par de petites actions simples et compréhensibles par tous et à toutes les échelles sociales.
Interview réalisée en ligne par Serge Ika Ki
Lefaso.net