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Le numérique, une occasion en or pour l’Afrique de rattraper son grand retard

lundi 9 octobre 2017

Le numérique est en marche au Burkina Faso. Des incubateurs se créent ici et là, des jeunes rivalisent d’imagination et de talent pour proposer des solutions simples,… un écosystème solide est en création et Rodrigue Guiguemdé veille au grain. Dynamisme, innovation, performance et loyauté sont les valeurs de ce jeune féru des TIC, aujourd’hui directeur général du développement de l’industrie numérique. Les projets plein la tête, il est de ceux-là qui pensent qu’« il faut aller droit au but sans hésiter ». Nous l’avons rencontré, le mercredi 4 octobre 2017. Lisez !


Lefaso.net : Vous êtes le directeur général du développement de l’industrie numérique. Vous êtes très jeune…

R.G. : (Rires) ! Jeune, oui beaucoup l’ont dit. Mais, je crois qu’il y a un certain nombre de défis que nous avons à relever. A un moment donné, je pense que l’autorité a estimé que nous pouvons mener à bon port ce bateau. Elle nous fait confiance et nous sommes en train de travailler pour ne pas les décevoir.

Parlez-nous un peu de votre parcours

Je suis né à Bobo-Dioulasso (Ouest du Burkina Faso). Après le collège de Toussiana, j’ai fait le lycée Ouezzin Coulibaly avant d’entamer mon cursus universitaire à l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO) puis à l’IBAM (Institut burkinabè des Arts et Métiers) et enfin en Tunisie. Je suis en train de vouloir continuer dans d’autres études. J’ai un Master 2 en e-Services international. Je suis entré dans la fonction publique en 2010 en poste à la Direction générale de la coordination des programmes de développement des TIC.

Après, j’ai rejoint l’équipe de l’ANPTIC (Agence nationale de promotion des technologies de l’Information et de la Communication). Là, j’étais le responsable du département des outils de communication, puis, le responsable du département de la normalisation et de l’intégration des systèmes. Et c’est de ce poste que j’ai été nommé Directeur général du développement de l’industrie numérique, il y a à peine quatre mois.

Quelles sont les missions assignées à cette direction générale ?

Nous avons en charge le renforcement de l’écosystème des TIC au Burkina Faso. Nous avons des projets engagés depuis un certain nombre d’années afin de susciter l’innovation, la créativité et favoriser l’industrie numérique nationale qui fait appel à beaucoup de choses. Par exemple, dans cet écosystème, nous retrouvons des incubateurs qui travaillent à stimuler et accompagner les jeunes.

Comment comptez concrètement faire du numérique une industrie au Burkina Faso quand on sait que, qui dit industrie numérique dit avant tout connectivité mais surtout énergie ?

Vous posez une question avec un certain nombre de contraintes qui, selon vous, peuvent constituer un frein à cette industrie. L’Industrie est avant tout un état d’esprit parce que pour pouvoir stimuler l’environnement, il faut avoir un état d’esprit solide, et renforcer tout le réseau qu’il y a autour du numérique. Les questions de connectivité et d’énergie ne nous sont pas étrangères. Mais, les autorités travaillent à résoudre la majorité de ces difficultés. Pour ce qui concerne la connectivité, il y a de grands projets qui vont renforcer la capacité de la bande passante et tout le réseau qu’il y a à travers la fibre optique notamment. Pour donner l’environnement favorable à ces jeunes-là pour qu’ils puissent créer leurs start-ups jusqu’à maturité, il nous faut donc de l’énergie et une bonne connectivité. Mais je crois que nous devons nous adapter également.

Dites-nous, quel est le niveau de développement de cette industrie par rapport à celle des pays de la sous-région ?

On peut faire une comparaison brute et dire que le Burkina est en avance sur certains pays mais je crois que l’état d’avancement du numérique doit se jouer sur plusieurs plans. On peut avoir des pays qui ont une bonne infrastructure mais un écosystème faible. C’est un tout et ce sont des facteurs qu’il ne faut pas négliger dans ces types de comparaison. Il est difficile de dire que le Burkina est en avance sur un pays donné, mais nous pouvons dire que notre pays fait des efforts, il avance tant bien que mal avec toutes les difficultés que vous connaissez. Je crois qu’au Burkina, il y a toute une industrie qui est en train de se mettre en place.

De plus en plus, nous assistons à une éclosion d’incubateurs du numérique créés par de jeunes passionnés des TIC. Quels sont vos rapports avec ces laboratoires d’innovation ?

Je parlais tantôt de cet écosystème dont fait partie les incubateurs. Toutes les actions que nous faisons que ce soient les conférences ou les hackathon, vont concourir à renforcer le réseau. Ces incubateurs mènent souvent des activités, de façon isolée. Nous travaillons à ce qu’ils puissent fédérer leurs énergies, dialoguer car c’est ensemble qu’ils seront beaucoup plus forts. Quand vous prenez l’exemple des conférences au Faso sur le numérique (COFAN) qu’on a initié, on essaie de faire le tour des différents incubateurs qui nous accueillent chez eux. Cela leur permet de se découvrir, de nouer des contacts et de créer des projets ensemble. Dans le cadre du projet de technopôle, il n’est pas exclu que ces incubateurs aient des pied-à-terre pour stimuler leur créativité et proposer des projets concrets.

Selon nos informations, un projet d’agrément des incubateurs est en réflexion. De quoi il en retourne exactement ?

Il ne faut pas prendre le terme « Agreement » dans le sens qu’on lui donne par exemple au niveau des marchés publics. Il s’agit plus d’une normalisation. Comme vous venez de le noter, il y a une floraison d’incubateurs au niveau du Burkina. Certains répondent à des standards acceptables. Et il faut que l’on se rassure que les jeunes travaillent dans un environnement de confiance. L’Etat a le devoir de trouver les voies et moyens pour que n’importe qui ne vienne pas faire n’importe quoi. Il nous faut donner des orientations aux gens ; cela ne veut pas dire qu’on recadre les incubateurs, juste par plaisir. Nous voulons protéger les jeunes talents. Le terme « Agreement » est peut-être un peu fort, mais c’est vraiment pour mettre de la confiance dans cet écosystème. Quand on a le label gouvernemental, cela créé une certaine assurance au niveau des jeunes entrepreneurs. Tout secteur, aujourd’hui, a besoin d’un minimum de règlementation si on veut éviter les dérapages.

Où en êtes-vous avec ce projet ?

C’est en encore à l’étape d’idée. On est en train de réfléchir avec certains partenaires au niveau du Burkina et de l’Europe pour s’inspirer des modèles de réussite en la matière. Il y en a qui ont une forte expérience dans la création d’un écosystème solide et viable et ce serait bon qu’on adapte ces modèles à notre contexte. C’est très dangereux de faire du copier-coller dans ce domaine.

Vous parliez tantôt des conférences au Faso sur le numérique. De quoi s’agit-il ?

Les conférences au Faso sur le numérique (COFAN) sont une tribune où des acteurs viennent échanger sur le numérique et les innovations que, souvent, nous ne connaissons pas encore. Au-delà de cela, il y a ce réseautage qui sera créé parce qu’il est important que des personnes d’un même secteur se retrouvent pour discuter d’une thématique et envisager une collaboration sur des projets. Il y a quelques jours, un Monsieur venu de la Côte-d’Ivoire m’a approché pour dire qu’ils sont en train de travailler sur un projet au Burkina mais que pendant des mois, ils n’arrivaient pas à maitriser l’environnement et l’écosystème du Burkina pour pouvoir percer le marché. Ils arrivaient à contacter quelques personnes, mais c’était difficile.

Après avoir participé à deux, trois conférences, ils ont maintenant un carnet d’adresses fourni, les gens les écrivent et les choses avancent. Au-delà du réseau qui est en train de se créer, il y a une prise de conscience aussi des acteurs. Nous sommes presqu’à la fin de la première session. Bientôt la deuxième session va s’ouvrir. On a un peu peiné au début dans la mise en œuvre de ces conférences et bientôt il y aura des appels à sponsorings qui seront lancés pour soutenir l’activité afin d’assurer sa pérennité.

Généralement les recommandations formulées à la fin de ces types d’activités restent dans les tiroirs des bureaux. Qu’est-ce qui est prévu à la fin des COFAN
C’est vrai ce que vous dites. On a connu beaucoup d’initiatives où à la fin, des recommandations ont été faites et sont restées sans suite. Il n’y a pas eu d’actions fortes pour leur mise en œuvre bien qu’elles soient très souvent pertinentes. Pour les COFAN, des rapports sont produits après chaque panel. Des recommandations sont formulées à l’intérieur de ces rapports. A la fin de la première session, une synthèse de tous ces rapports sera générée. Les recommandations seront classées par priorité et soumises à l’autorité qui est très motivée pour leur mise en œuvre dans la mesure du possible. Retenez que l’autorité attend avec impatience les recommandations qui sortiront de ces conférences au Faso sur le numérique.

De nos jours on parle du numérique 4.0, celui des objets connectés. Le Burkina est-il préparé à accueillir cette révolution ?

Aujourd’hui, les technologies n’ont pas de frontières. Si la technologie 4.0 a été implémentée ailleurs, elle doit être implémentée aussi au Burkina. Peut-être qu’il y a des préalables mais ce sont défis que nous, nous devons relever. Nous travaillons à ce que cet écosystème que nous sommes en train de créer puisse avoir les ressources humaines, les compétences pour créer toutes ces initiatives. Dans le cadre du projet Technopole, des incubateurs, des fabs labs, des industries seront créées. Une première phase est prévue mais je ne vous en dirai pas plus. Je vous laisserai constater dans les faits et les résultats. Sachez tout simplement qu’un certain nombre de choses seront mises en place et l’environnement de base sera opérationnel et les gens pourront commencer à baigner dans un environnement 4.0.

Parlez-nous des difficultés que vous rencontrez au niveau de la direction générale du développement de l’industrie numérique ?

De manière générale, au niveau du pays, nos problèmes sont d’ordre budgétaire. Il y a certains programmes où nous n’avons pas besoin d’avoir des ressources financières assez importantes. Nous arrivons à mener ces activités via les compétences et les équipes que nous avons. Nous faisons des efforts exceptionnels mais le principal problème, ce sont les ressources que l’on octroi au secteur du numérique. Ce n’est pas qu’au niveau de la direction générale du développement de l’industrie numérique. C’est beaucoup plus général. Alors qu’aujourd’hui, les TIC peuvent être un facteur de développement accéléré d’un pays. Le gouvernement fait des efforts pour mettre à notre disposition des ressources mais ce n’est pas facile. On veut aller très vite avec beaucoup de ressources. Les technologies avancent très vite et nous avons le devoir de suivre le rythme avec peu de moyens.

Quels sont les projets en cours et à venir au sein de cette direction ?

Nous avons des projets que nous avons initiés en marge des COFAN. Il y a le Hackathon 226 qui permettra d’identifier les problématiques phares qui ont besoin d’une résolution numérique dans les secteurs d’activités. A la fin de chaque Hackathon, il faudrait qu’on puisse avoir un service disponible et fonctionnel. On s’est fixé un but : organiser un Hackathon chaque mois. Imaginez-vous un pays qui a 12 services en ligne en une année ! C’est par là qu’on sentira l’importance du numérique. Je l’ai toujours dit : le numérique est une grâce. L’Afrique a toujours pensé qu’elle était en retard par rapport aux autres continents. Le numérique offre une occasion en or à l’Afrique de rattraper ce grand retard. Et on a intérêt à prendre le train en marche sinon…

En plus du Hackathon, il y a le concours Génie TIC qui est le cadre idéal pour que les jeunes talents viennent proposer des solutions et se mettre à découvert pour bénéficier d’un accompagnement du gouvernement. Des réformes ont été faites pour ce programme suite à un atelier. Nous avons souhaité que ce programme passe par plusieurs étapes parce que très souvent des jeunes ont de bonnes idées mais ne sont retenus parce qu’ils ne l’ont pas bien formulé. Et là, on peut passer à côté d’une grande Start-up révolutionnaire. On a donc décidé dans un premier temps de former les jeunes qui seront présélectionnés à pouvoir monter des dossiers cohérents. Cet encadrement nous permettra d’être sûrs qu’on ne passe pas à côté de la plaque. Le plus important, c’est l’encadrement et le suivi.

Après le Génie TIC, nous avons la plateforme PLATINIUM que nous sommes en train de mettre en place. C’est la plateforme des innovations. Lorsque des personnes arrivent au Burkina Faso pour investir dans le numérique, la première question qu’elles se posent c’est de savoir comment fonctionne l’écosystème. Nous avons donc pensé à un portail sur les innovations depuis l’étape « idée » jusqu’à la maturation. Lorsque l’investisseur ira sur la plateforme, il verra à quel stade de développement se trouve tel ou tel projet et qui sont ceux qui travaillent là-dessus. On a prévu lancer cette plateforme de l’innovation pendant la Semaine nationale de l’internet au cours de la journée du Networking Day.

Les compétences dans le domaine du numérique étant importantes, nous avons développé la plateforme de E-COMPETENCE qui va regrouper l’ensemble de compétences un peu partout. Si vous êtes un consultant, vous pouvez vous inscrire sur la plateforme. Des commissions vont se réunir régulièrement pour valider des demandes d’inscription. Une fois validé, vous serez disponible en mode « Public » sur le site avec l’accréditation du gouvernement. Cela rehausse votre image du même coup. Cette solution viendra palier un grand problème, celui des faux consultants qui prétendent avoir des compétences dans tel ou tel domaine. Le problème de la corruption sera un tant soit peu résolu. Nous avons prévu le lancement de la plateforme dans un mois.

Quels seront les critères de définition des compétences d’une personne ?

La commission va vérifier la véracité de toute la documentation que la personne dispose, ses diplômes et expériences acquises. Et c’est sur la base de tout cela qu’on dira qu’une personne est crédible ou non.

N’y a-t-il pas de risque qu’il y ait du copinage entre la personne et les membres des commissions ?

L’avantage ici, c’est que les commissions seront constituées de plusieurs sensibilités. Donc, même s’il y a des copains, il y aura quelqu’un au sein de la commission qui ne sera pas d’accord. C’est pourquoi nous prônons le brassage de toutes les sensibilités. Mais, si malgré toutes ces dispositions, on n’arrive à une telle situation, alors il faudra qu’on regarde le problème ailleurs.

Un dernier mot à l’endroit de tous ces jeunes qui veulent entreprendre dans le numérique

Je veux juste leur dire que ce n’est pas une mauvaise affaire que d’entreprendre dans le numérique. Le numérique a fait ses preuves. C’est un secteur dans lequel vous ne pouvez pas ne pas vous en sortir. Avec le numérique, votre imagination n’a pas de frontières. Tout est possible. Ce n’est pas comme dans certains secteurs où il vous faut de gros moyens. Avec votre Laptop et un ordinateur, vous pouvez monter des sociétés qui vont brasser demain des centaines de millions de dollars. Le gouvernement travaille à ce qu’on ait beaucoup d’exemples de ces genres de réussites au Burkina Faso. Et tout ce que nous sommes en train de faire doit concourir à cela et on espère atteindre les résultats dans les plus brefs délais. Alors si tu es jeune et que tu veux entreprendre dans le numérique, je peux t’assurer que tu fais une bonne affaire. Il faut y aller.

Entretien réalisé par Herman Frédéric Bassolé
Lefaso.net