La communication à l’ère des mutations : Entre intelligence artificielle et gestion des crises au Burkina Faso
dimanche 17 novembre 2024
L’université Joseph-Ki-Zerbo a accueilli un colloque international organisé par le Laboratoire médias et communications organisationnelles (LAMCO), le samedi 16 novembre 2024. Sous le thème « Les pratiques de l’information et la communication dans une société en mutation », l’événement a réuni chercheurs, professionnels et étudiants pour débattre des transformations profondes qui touchent les médias et les communications dans le contexte burkinabè.
Lors de la troisième journée du colloque, deux interventions majeures ont marqué cette rencontre, portant sur des thématiques d’une grande actualité : l’intelligence artificielle et la communication de crise.
Dans un monde où les technologies transforment radicalement les pratiques professionnelles et où les crises redéfinissent les priorités des sociétés, le rôle de l’information et de la communication devient plus crucial que jamais.
À l’occasion d’un colloque international organisé par le Laboratoire médias et communications organisationnelles (LAMCO), deux chercheurs burkinabè ont exploré des thématiques au cœur de ces mutations : l’intégration de l’Intelligence artificielle (IA) dans le journalisme, et la gestion des crises à travers une communication adaptée. Leurs travaux, riches en enseignements, apportent des réponses aux défis actuels tout en ouvrant des perspectives pour aborder le futur avec plus de sérénité.
Intelligence artificielle : entre opportunités et défis
Dr Cyriaque Paré, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Institut des sciences des sociétés (INSS) du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), a présenté une étude sur l’adoption de l’IA par les journalistes burkinabè. Intitulée « Journalistes burkinabè et l’IA : la grande inconnue ? », sa communication s’est appuyée sur une enquête menée auprès des professionnels des médias.
Les résultats de cette étude révèlent que 84% des journalistes interrogés considèrent l’IA comme une technologie prometteuse capable de transformer leur métier.
Cependant, 81% d’entre eux expriment des préoccupations concernant les risques éthiques qu’elle peut engendrer, notamment en matière d’intégrité et de crédibilité de l’information. Malgré ces inquiétudes, une grande majorité (94%) estime nécessaire de se former à l’utilisation de l’IA dans leur travail.
Dans la pratique, toutefois, l’adoption reste limitée. Seulement 25% des journalistes ont déjà suivi une formation sur l’IA, et 33 % affirment avoir utilisé des outils basés sur cette technologie, tels que ChatGPT, Perplexity, Canva ou Remini. Par ailleurs, 22% des répondants disent avoir produit des articles traitant de l’IA.
Cette disparité entre discours et pratiques amène Dr Paré à s’interroger sur un possible effet de mode. Il souligne néanmoins que l’intérêt pour l’IA est croissant, et que son utilisation, bien qu’encore balbutiante, pourrait jouer un rôle crucial dans l’évolution des pratiques journalistiques au Burkina Faso.
Les défis liés à l’usage de l’IA
Dr Cyriaque Paré a insisté sur l’ambivalence de l’IA dans le journalisme burkinabè. D’un côté, elle offre des opportunités pour améliorer la rapidité et la qualité des productions journalistiques. De l’autre, elle pose des défis complexes. Parmi eux, figurent les imprécisions techniques, les bugs, la faiblesse des infrastructures numériques, le manque de formation spécifique et la réticence de certains décideurs médiatiques à investir dans ces technologies. Les enjeux éthiques liés à la dépendance excessive aux outils d’IA et à la perte potentielle d’autonomie des journalistes ont également été évoqués.
Pour répondre à ces défis, le chercheur et formateur recommande de renforcer les capacités des journalistes à travers des programmes de formation adaptés. Il plaide également pour le développement d’infrastructures numériques robustes et la création d’outils répondant aux spécificités locales du Burkina Faso. Selon lui, ces efforts conjugués permettront à l’IA de s’imposer comme un allié stratégique pour les médias burkinabè, tout en préservant les valeurs fondamentales du journalisme.
Communication de crise : des leçons pour une gestion efficace des risques
Bouraïman Zongo, enseignant-chercheur à l’université Joseph-Ki-Zerbo, a axé son intervention sur les stratégies de communication de crise au Burkina Faso, dans un contexte marqué par des crises multiples. Dans sa présentation intitulée « Communication de crise au Burkina Faso pour une anthropologie du risque », il a analysé les défis posés par une société multiculturelle et incertaine, tout en mettant en lumière le rôle central de la communication dans la gestion des crises.
Pour le chercheur, le concept de risque est au cœur de la société moderne. « Cette société, que le sociologue Alain Touraine qualifie de société postmoderne, est programmée par le fort courant de l’information et de la communication, et caractérisée par un ensemble d’incertitudes », a-t-il expliqué. C’est dans ce contexte qu’il a entrepris ses recherches, combinant analyse documentaire, observation ethnographique et analyse des contenus médiatiques, en s’appuyant sur des cas concrets tels que la pandémie de Covid-19, la crise sécuritaire et le phénomène des Koglweogo.
Ses travaux ont mis en lumière trois résultats majeurs. Le premier concerne le rôle fonctionnel de la communication dans la gestion des crises. « La communication de crise mobilise souvent des acteurs inhabituels comme les élus locaux, les associations de justice ou encore les médias sociaux, ce qui entraîne un flux surdimensionné d’informations et une mise sous tension généralisée », a-t-il noté. Cette surcharge informationnelle favorise l’émergence de rumeurs et exacerbe les incertitudes.
Le deuxième résultat porte sur le rôle des médias dans la production et la diffusion d’informations en période de crise. L’enseignant-chercheur a souligné que, dans un contexte de perturbations, chacun cherche à contribuer à la communication de crise, amplifiant ainsi les contradictions et les incertitudes. Il a insisté sur l’importance d’une communication claire et proactive pour limiter les effets négatifs des crises et informer les populations sur les mesures à adopter.
Enfin, son analyse a révélé les différentes réactions sociales face aux crises, allant du déni à l’indifférence, en passant par la stigmatisation et le rejet.
Ces observations ont été illustrées par un tableau retraçant l’évolution des sentiments d’insécurité et les réponses apportées, notamment lors de la pandémie de Covid-19. « Les décisions comme la fermeture des frontières et des lieux publics s’inscrivent dans ce processus de gestion des crises », a-t-il illustré.
Une communication adaptée pour une société en mutation
Les interventions de Dr Cyriaque Paré et de Bouraïman Zongo ont convergé sur un point essentiel : dans une société en mutation rapide, la communication doit évoluer pour répondre aux défis actuels tout en s’adaptant aux spécificités locales.
Alors que l’intelligence artificielle offre des perspectives inédites pour le journalisme, elle nécessite une adaptation des infrastructures et des formations. De son côté, la communication de crise, en tant qu’outil de gestion des risques, doit s’ancrer dans une compréhension approfondie des dynamiques sociales et culturelles.
Repenser la communication pour mieux anticiper les défis
Le colloque du LAMCO a permis de mettre en exergue les enjeux stratégiques liés aux mutations sociétales et à la communication au Burkina Faso. Les réflexions de Dr Cyriaque Paré et de Bouraïman Zongo appellent à des approches innovantes et intégrées pour répondre aux défis technologiques, sécuritaires et sociaux.
À travers une communication repensée, plus inclusive et adaptée, le Burkina Faso pourrait non seulement mieux gérer les crises, mais aussi anticiper les transformations futures pour bâtir une société résiliente et harmonieuse.
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Hamed Nanéma
Lefaso.net