Burkina/ Journée mondiale de la liberté de la presse : « La liberté de la presse ne peut pas être antinomique de la reconquête du territoire national  », Boukary Ouoba, journaliste au Reporter
vendredi 3 mai 2024
Le monde entier célèbre ce 3 mai 2024, la journée de la liberté de la presse. A l’occasion de cet évènement, nous avons interviewé Boukary Ouoba, journaliste au bimensuel d’investigation Le Reporter et secrétaire général de l’Association des journalistes burkinabè (AJB). Selon le journaliste, la liberté de la presse au Burkina Faso a connu un recul historique. Même s’il reconnaît, à l’évidence, que la situation sécuritaire y est pour quelque chose, il regrette tout de même le comportement des autorités actuelles qui ont davantage contribué à la dégradation de ce climat. Pour lui, la liberté de la presse ne peut pas être antinomique de la reconquête du territoire national. Par rapport aux critiques des autorités à l’endroit des médias, il estime que c’est un faux procès. Car, dit-il, les médias burkinabè ne sont pas plus critiques de la gouvernance du régime de transition qu’ils ne l’ont été avec le président Kaboré, la transition de 2015 ou encore avec le régime de Blaise Compaoré. Lisez in extenso !
Lefaso.net : Comment êtes-vous arrivé dans le journalisme ?
Boukary Ouoba : Je suis arrivé par vocation et par passion. Après mon baccalauréat série D, j’ai fait les études en journalisme au département de communication et journalisme de l’université de Ouagadougou. Par la suite, j’ai intégré le bimensuel L’Évènement qui était mon premier média où j’ai exercé le journalisme. Là -bas, j’ai eu la chance de côtoyer les gens qui constituaient et qui le sont encore aujourd’hui des références dans notre pays en matière de journalisme.
Il s’agit de Germain Bitiou Nama, Newton Ahmed Barry. J’ai beaucoup appris auprès d’eux. Au lycée, je m’intéressais beaucoup à l’actualité. J’étais très attaché à la radio, à la lecture et dans une moindre mesure à la télévision puisqu’on ne peut pas regarder la télé à tout moment. Ce qui n’est pas le cas des autres médias. C’est pour vous dire que j’ai nourri très tôt la passion pour le journalisme.
Les titulaires de bac A sont enclin à faire le journalisme au regard de leur profil littéraire. Avec votre bac D, vous avez choisi de faire le journalisme. Comment pouvez-vous expliquer ce choix ?
Effectivement, les gens pensent que c’est paradoxal. Je me souviens d’ailleurs que la question m’a été posé lors de mon entretien pour le test d’entrée au département de communication et journalisme. Les examinateurs m’ont demandé pourquoi je viens faire du journalisme avec un bac D ? J’ai répondu que c’est une histoire de passion. En fait, j’étais suffisamment à l’aise avec tout ce qui est littéraire. Mais j’avais aussi la passion pour tout ce qui est scientifique. Ce n’est pas paradoxal. J’aurais pu aussi faire le droit, c’est l’une de mes vielles passions.
D’ailleurs, j’ai écouté plusieurs personnes dont des hommes de droit qui disent qu’ils auraient pu faire le journalisme s’ils avaient eu l’opportunité. De la même manière, des journalistes aussi disent qu’ils auraient pu faire le droit s’ils avaient eu l’opportunité. Ces deux métiers se retrouvent quelque part parce que nous poursuivons les mêmes causes : la justice, la vérité, l’égalité. On peut atteindre ces choses en étant avocat, magistrat mais aussi journaliste. Le journaliste est la voix des sans voix comme on dit pour l’avocat, le défenseur de la veuve et de l’orphelin.
Vous êtes connu comme un journaliste d’investigation. Pourquoi avez-vous préféré de faire de l’investigation ?
Dire que je suis journaliste d’investigation, c’est trop dire à mon sens. Je suis un journaliste qui pratique l’investigation. Autrement dit, je me reconnais seulement comme un journaliste. Je pense que tous les journalistes peuvent prétendre faire de l’investigation. Certains journalistes pensent que l’investigation est tout autre chose et ne veulent même pas s’y essayer.
C’est une règle d’écriture qui a permis de catégoriser les formes d’écriture en journalisme, notamment, le compte rendu, le reportage, l’interview, le portrait et autres. L’investigation est un genre journalistique, ce n’est pas un journalisme à part entière. Il y a aussi des journalistes qui font de l’investigation sans s’en rendre compte. L’investigation, c’est de toucher par exemple aux affaires de corruption, mettre en cause des personnes. Les gens pensent aussi que l’investigation sert à faire tomber des têtes. Non, l’investigation consiste à aller à la recherche de la vérité, d’une preuve par rapport à des hypothèses posées.
Que peut-on retenir de votre parcours professionnel ?
J’ai pratiqué trois journaux. Il s’agit de L’Évènement où j’ai exercé de 2008 à 2011. Vous le savez aussi bien que moi que L’Évènement est connu comme un journal d’investigation. C’est le journal qui est né après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo puisque ceux qui ont crée le journal étaient aussi ceux-là qui ont pris la relève de L’Indépendant après l’assassinat de son fondateur. En 2011, avec des collègues, nous avons co-fondé le journal Mutations dans lequel nous avons exercé de 2011 jusqu’en janvier 2021. Malheureusement, la situation économique n’a pas permis au média de survivre. Mutations était un journal qui voulait vivre exclusivement de sa production. Je crois que c’est une réalité que partagent la plupart des journaux d’investigation.
Ce sont des journaux qui n’ont pas d’annonces comme les quotidiens. Avec Mutation, nous avions même fait le choix délibéré de ne pas être à la recherche des annonces. Nous avions exclu certains types de publicités qui ne nous intéressaient pas. Il s’agissait de faire vivre le journal, essentiellement à partir des ventes. C’est peut-être un mauvais modèle économique.
Au bout de neuf ans, l’aventure s’est arrêtée. Actuellement, je suis au journal Le Reporter qui est aussi un autre journal d’investigation. J’ai des gens avec qui j’ai de très bons rapports quand j’étais à L’Évènement ou encore ou journal Mutations. En réalité, je me retrouve toujours dans mon milieu en étant là -bas avec des gens comme Boureima Ouédraogo, Aimé Nabaloum.
Depuis l’avènement du régime du MPSR au pouvoir, les journalistes font de plus en plus l’objet de critiques. Comment comprenez-vous ces critiques ?
Les journalistes font l’objet de beaucoup de critiques et des critiques de la part de différents groupes. Ce ne sont pas toujours les mêmes et ils ne critiquent pas les médias pour les mêmes raisons. Donc, nous ne serons pas très justes si nous globalisons tout cela. Je considère qu’il y a un certain nombre de personnes qui n’ont pas compris grand chose au rôle des médias.
Ils ne savent pas à quoi cela sert d’être journaliste. Pour ces derniers, ils pensent même que tous les médias peuvent arrêter d’exercer et le pays se porterait mieux. C’est une grave illusion de leur part. Je pense que si cela devrait arriver, il viendrait un moment où ils seront les premiers à revendiquer la reprise des activités des médias. Tôt ou tard, ils auront besoin du rôle des médias. Les médias ne sont pas là pour X ou pour Y.
Aujourd’hui, les médias peuvent mettre à mal par leurs écrits une personne, un régime et demain, ils peuvent prendre d’une manière ou d’une autre, la défense de ces derniers. Il suffit juste de regarder les changements politiques récents dans notre pays. Il fut un moment donné où tout le monde pensait que la presse burkinabè était contre Blaise Compaoré ou le CDP. Mais aujourd’hui, qui s’intéresse au CDP ou à Blaise Compaoré encore ? Bien au contraire, ce sont ces acteurs qui ont plus besoin des médias aujourd’hui parce qu’ils ont besoin qu’on parle de leur situation.
Après le régime du CDP, nous avons connu celui de Roch Marc Christian Kaboré. Je pense que quand ils cherchaient le pouvoir, ils avaient besoin des médias ; ils s’en sont même servis suffisamment. Mais lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir et que les médias continuaient de faire ce qu’ils faisaient quand ils étaient à l’opposition, ils trouvent que c’est dérangeant. A un certain moment, les médias étaient devenus des ennemis du régime du président Roch Marc Christian Kaboré et de tous ses partisans. Ils s’en prenaient aux médias. Aujourd’hui, nous sommes dans une transition dirigée par un régime militaire. C’est la même rengaine. En réalité, les choses n’ont peut-être pas changé entre hier et aujourd’hui.
C’est la même tendance sauf que dans l’amplitude, les gens vont un peu plus fort. C’est regrettable ! C’est par rapport au tempo mis par les premières autorités du pays. Il n’y a pas que les citoyens lambdas qui semblent ne pas comprendre le travail des médias et qui critiquent les médias. Jusqu’au sommet de l’État ; les membres du gouvernement, le chef de l’État ; tout le monde semble avoir mis les médias sur le banc des accusés. Alors que c’est véritablement cela le travail des médias. Le média ne sert à rien s’il ne peut pas déranger l’autorité. Autrement, vous ferez du griotisme.
Vous parlez du régime de Blaise Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré, le contexte n’est pas le même n’est-ce pas ?
Est-ce que vous pensez que le travail du médecin, de l’enseignant, du juge a fondamentalement changé selon le contexte ? Ils diront que ce n’est pas la même responsabilité sociale, je suis d’accord. Ce qu’on dit des médias aujourd’hui, on leur fait en réalité un faux procès. Si des gens avaient écouté les journalistes depuis 2015 jusqu’en 2018, on aurait pu peut-être circonscrire la menace terroriste. Je pense que le travail de la presse n’a pas été pris au sérieux. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui et qui étaient autrefois des commandants d’unités de combat, savent à l’époque l’importance qu’ils accordaient aux médias.
Nous étions ceux qui disions que ça ne va pas. Les médias étaient ceux qui critiquaient la gouvernance et la gestion de l’armée. Je pense que les autorités actuelles devraient être en phase avec la presse. Quand ils se retrouvent en position de gouvernants, leur statut ayant changé, leur regard aussi a changé. Il faut comprendre que ce n’est certainement pas les médias qui ont changé. Les médias ne sont pas plus critiques de la gouvernance du régime de transition qu’ils ne l’ont été avec le président Kaboré, la transition de 2015 ou encore avec le régime de Blaise Compaoré.
Si les gens veulent apprécier objectivement, ils reconnaîtront que la presse burkinabè est une presse assez constante, ce n’est pas une presse qui fluctue en fonction des régimes. Les journalistes sont très conscients de leur rôle en tant que ceux qui doivent interpeller les autorités sur les défis nationaux, ceux qui doivent apporter la bonne information aux citoyens. Pas l’information qui affole mais celle qui nous permet d’être conscients de nos réalités et d’apporter des solutions qu’il faut.
Le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré, dans son dernier entretien avec les journalistes, a demandé que les médias valorisent les exploits des forces combattantes au front. Comment avez-vous compris cette interpellation ?
J’ai du mal à cerner la préoccupation. Je pense que les journalistes essaient d’être le reflet de la réalité. Tant qu’il y a des opérations qui sont menées par nos forces combattantes, engrangeant des résultats, les journalistes ne peuvent qu’en parler. Personnellement, combien de fois j’ai fait des papiers (jargon journalistique qui veut dire production d’articles) sur les succès de nos Forces de défense et de sécurité (FDS). J’ai réalisé un reportage en 2016 à Djibo, au tout début du terrorisme. Comme ils aiment dire souvent que les journalistes relaient tout et n’importe quoi, je me souviens encore de beaucoup d’informations que je m’étais abstenu de diffuser.
Lorsque je suis rentré à Ouaga, je suis allé rencontrer des officiers de l’armée pour échanger sur un certain nombre de d’informations, de constats que j’avais pu faire à l’occasion de mon séjour dans cette ville. Pour moi, c’était des éléments que je ne devais pas diffuser dans la presse. J’ai partagé ces informations avec les responsables militaires. Aucun journaliste ne peut dire qu’il diffuse tout ce qu’il collecte comme information. On pourra poser la question même à nos aînés, la presse burkinabè n’a jamais fait autant d’auto-censure que ce qu’elle pratique aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est même le professionnalisme qui est remis en cause.
On constate même une démission totale de la part de la presse par rapport à ce qui devrait être ses obligations. Récemment, on parle d’une unité de la police qui a été attaquée, qu’est-ce que vous n’avez pas entendu sur cette attaque ? 23 morts, 45 morts, plus de 50 morts…Mais quand vous regardez dans la presse officielle, vous ne trouvez aucune information. Aucun journal, radio, télé n’en parle. Mais ce n’est pas pour autant que les populations ne sont pas informées.
Bien au contraire, les populations sont abreuvées à la mauvaise source. Qu’on le veuille ou non, les réseaux sociaux vont continuer à diffuser des informations, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Pour éviter cela, il faut permettre aux médias professionnels de donner la bonne information ou de donner l’information dans les limites qui respectent le professionnalisme. En réalité, cette manière de communiquer à travers les réseaux sociaux ne fait pas progresser la lutte contre le terrorisme.
Les détracteurs estiment que les journalistes européens sont beaucoup plus conciliants et accommodants avec leur pourvoir en cas de crise. Ils prennent généralement exemple sur France 24 et Radio France internationale (RFI) dans la crise russo-ukrainienne. Que répondez-vous à ces derniers ?
Ce n’est pas vrai que les journalistes européens sont dans cette posture. C’est cela le charme des médias, la diversité des opinions, le pluralisme médiatique. C’est d’avoir dans un pays, un média qui s’appelle Oméga FM, BF1, 3TV, Lefaso.net... qui ne disent pas la même chose. Si tous les médias doivent dire la même chose tous les jours, cela ne sert absolument à rien. Vous trouverez des médias qui vont tirer leur chapeau au gouvernement aujourd’hui et des médias qui vont lui donner demain carton rouge.
C’est ainsi que les choses fonctionnent. Je n’irai pas citer des médias en Europe mais ces médias dont ils parlent ne soutiennent pas le gouvernement. Vous savez, ce que nous faisons faire à nos médias publics ici au Burkina, aucun chef d’État français ne peut faire cela à un média public français. Dans nos pays, nous faisons la confusion entre deux choses. Si on se comprenait, on aurait certainement la même compréhension des enjeux.
Ailleurs, les gens font la distinction entre les intérêts d’un gouvernement et les intérêts de l’État. Entre défendre l’État et défendre le gouvernement. Mais chez nous, on ne se pose pas ces questions. Chez nous, l’État c’est le gouvernement. On confond les intérêt de l’État avec ceux du gouvernement. Quand vous critiquez le gouvernement, on dit vous êtes contre l’État. C’est exactement le discours qu’on a au point que critiquer les actions du gouvernement fait de vous un apatride.
C’est dangereux. Au Burkina, les médias d’État sont devenus des médias gouvernementaux. Les intérêts du gouvernement sont confondus aux intérêt de l’État. Les gouvernements sont passagers. Nous avons eu cinq présidents en dix ans, entre 2014 et 2024. Est-ce que l’État du Burkina Faso sous le capitaine Ibrahim Traoré est différent de celui sous le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba ? Nous devons pouvoir continuer à défendre l’État indépendamment de ceux qui sont aux affaires.
Le 3 mai, c’est la journée mondiale de la liberté de la presse. Quel regard avez-vous de la liberté de la presse dans ce contexte de crise sécuritaire et humanitaire au Burkina Faso ?
Au risque de devancer le rapport du Centre national de presse Norbert Zongo (CNP-NZ), je dirai que ce n’est pas reluisant. Depuis 2016, le centre publie un rapport sur l’État de la presse au Burkina et la note est évaluée sur l’échelle de 0 à 4. Si le pays est noté 4/4, cela veut dire qu’il n’y a aucun problème de liberté de la presse au Burkina Faso. La dernière note qui est celle de 2023 était de 2,21.
Elle était déjà suffisamment faible par rapport aux années précédentes. Depuis 2018, la courbe de la liberté de la presse est décroissante. Cette année, j’ai participé aux côtés de beaucoup d’autres confrères et acteurs de la vie nationale, la note que je ne vais pas dévoiler est en deçà de la moyenne.
Pour la première fois, le Burkina Faso n’aura pas atteint la moyenne. C’est un indicateur fort. En réalité, nous n’avons même pas besoin d’un tel rapport pour apprécier la situation de la liberté de la presse au Burkina Faso. Je ne pense pas que ce sont des journalistes seulement qui observent ce recul. Il faut constater que c’est un recul en matière de libertés d’une manière générale. La situation est loin d’être enviable, cela tient à plusieurs facteurs. Il y a le facteur sécuritaire et institutionnel.
Ils vous diront qu’il n’y a pas de liberté de la presse dans un pays qui n’est pas libre…
Je dirai que la liberté de la presse peut contribuer à la liberté, à la libération même. Imaginez que ce pays soit occupé par les terroristes (je ne le souhaite même pas), comme la France sous l’occupation par exemple. L’intérêt des occupants est de faire taire tout le monde. Tant que vous n’avez pas la possibilité de vous exprimer, vous n’obtiendrez pas cette libération. La liberté de la presse ne peut pas être antinomique de la reconquête du territoire national. Bien au contraire, nous en avons besoin pour aller à la reconquête du territoire national. Ce n’est pas le métier qui doit être mis en cause. La critique du journaliste est une chose qui est tolérée.
Mais aujourd’hui, nous avons dépassé le seuil de la critique du journaliste, c’est la haine du journaliste. J’ai reçu tellement de formations en journalisme sensible au conflit et je suis moi-même formateur dans ce domaine. J’ai récemment animé deux ou trois sessions de formation en journalisme sensible au conflit. C’est pour vous dire que je sais ce que sait que traiter l’information en temps de crise puisque je l’enseigne. Le journalisme sensible au conflit n’a rien à voir avec la propagande que l’on fait.
La propagande est contre-productive, elle ne permet même pas de valoriser les résultats que nous avons. Il faut avoir le discernement pour permettre aux médias professionnels de continuer à exercer sans pression. Si on fait taire tous les médias professionnels comme ce qu’on est en train de constater aujourd’hui, ce n’est pas bien. Pratiquement, tous les médias internationaux sont interdits au Burkina.
Justement, quelle est votre réaction par rapport à la suspension de ces médias internationaux par le Conseil supérieur de la communication (CSC) ?
Cela n’a pas commencé aujourd’hui, ce qui a changé est que les dernières suspensions ont été prises par le CSC qui est l’instance habilitée à prendre ces genres de décision. Dans la forme, c’est recevable comme dirait le juge. Autrefois, on avait affaire à des suspensions qui étaient prononcées par l’exécutif. Si la forme est recevable, on peut examiner le fond.
Le sujet pour lequel tous ces médias ont été suspendus est quand-même bizarre. Parmi les médias suspendus, il y a des médias allemands, français, américains, anglais. Presque tout le monde entier est contre nous. Nous donnons un mauvais signal. Nous, en tant que professionnels, et ceux qui ne le sont pas, est-ce qu’on peut penser que tous ces médias se soient trompés ?
Même si le CSC ne l’a pas mentionné, on entend dans l’opinion que ce sont des médias impérialistes. N’est-ce pas la raison qui peut peser dans la balance du CSC au regard du discours anti-impérialiste tenu par les autorités ?
Vous qui êtes un média local, si vous devrez traiter cette information sur le rapport de Human Rights Watch, vous l’aurez traité comment ? Je n’ai pas suivi les éléments de BBC, de la Voix de l’Amérique et autres, mais j’ai suivi le reportage de TV5 Monde. En tant que professionnel, je ne vois pas ce que je leur reprocherais. Ce sont des comptes rendus.
Le CSC les accuse d’avoir relayé le rapport de Human Rights Watch qui contient des « déclarations péremptoires et tendancieuses contre l’armée burkinabè  ».
Mais quand nous faisons les comptes rendus, nous relayons n’est-ce pas ? Le communiqué du CSC, Lefaso.net a relayé ou pas ? Est-ce que vous vous êtes posés aussi la question si le CSC a raison ou pas ? Vous avez dit ce que le CSC a dit. Ces médias ont dit ce que Human Rights Watch a dit. Donc, s’il y a une seule entité qui devait payer, c’est Human Rights Watch. Je comprendrais qu’on sanctionne Human Rights Watch mais sanctionner les médias qui se sont basés sur un rapport, cela pose un problème. Le gouvernement pouvait s’occuper de cette affaire peut-être en sanctionnant cet organisme pour avoir produit un faux rapport.
Il y a l’impression que la situation est tendue entre les journalistes et le gouvernement. Quelles sont vos propositions pour concilier les parties et apaiser le climat ?
Je ne vois pas les choses de la même manière que vous, le fait de dire que c’est tendu. Nous sommes embarqués dans la même barque qui est le Burkina Faso. En réalité, nous aimons tous ce pays passionnément, c’est peut-être cela qui justifie toutes ces tensions. Chacun de son côté, croit bien faire. Ce qui est grave, c’est quand on traite les autres d’être animés d’une mauvaise foi. Souvent nous avons l’impression que c’est ainsi qu’on voit les médias. Un média se trompe, ils disent que c’est de la mauvaise foi, qu’il a fait exprès.
Je pense qu’on finira par se retrouver sauf que le plus tôt serait le mieux. Je constate que les médias ont fait trop de concessions. Aujourd’hui, de l’information gouvernementale, vous n’avez que des communiqués qui viennent très souvent en pleine Une. Pour tout professionnalisme, je pense que beaucoup de gens hésiteraient à prendre un communiqué d’une institution pour mettre à la Une du journal. C’est quoi la plus value ? Avant même que les médias ne les reçoivent, ils se trouvent déjà sur les pages Facebook et dans les groupes WhatsApp.
C’est déjà vu par tout le monde. Aujourd’hui, les médias sont devenus des relayeurs tout simplement de l’information officielle. Les médias ont fait beaucoup de concessions, je pense que c’est aux autorités aussi de faire des concessions. Aujourd’hui, les journalistes ne sont pratiquement pas autorisés à couvrir les activités du gouvernement et on dit que les médias doivent les accompagner. C’est le service de communication qui fait les vidéos, les textes, les photos et qui envoient par WhatsApp. Et vous devez prendre cela pour publier.
En tant que journaliste, nous ne pouvons pas être fiers de cela. Il y a lieu que cela change. Je pense que quand la crise va finir, et elle finira ; le plus tôt possible, l’un des gros chantier qui va nous rester est la reconstruction nationale. Parmi cette reconstruction, il y aura un grand pan réservé à la reconstruction de la presse nationale. Il y a des choses qui ont été érigées en journalisme de qualité alors que c’est du contre-journalisme. Ce sont des choses qu’on devrait enseigner dans les écoles de journalisme comme étant à ne pas faire. La propagande pour la propagande en matière de guerre, le Burkina Faso n’est pas le premier dedans. Des exemples existent ailleurs.
Les Américains sont champions en la matière mais ils ont fait des propagandes sur des guerres qu’ils ont perdues. Après on se rend compte que la réalité est toute autre. Les médias ont fait leur mea-culpa. Quand on a la chance d’avoir toutes ces expériences, on doit en tirer leçon. Même au niveau national, nous avons des exemples. Le régime du MPSR a des relents de révolution. On peut faire la comparaison avec le régime du CNR. L’une des grosses plaies du régime du CNR qui est considéré aussi comme étant le meilleur régime, ce sont les atteintes aux libertés.
C’est sous le CNR que L’Observateur a été brà »lé. Aujourd’hui, un média n’a pas encore été brà »lé mais nous n’en sommes pas loin. Il y a d’autres façon de faire taire les médias. On ne tire pas leçons. Les meilleurs enseignements du régime du CNR en matière de liberté de la presse, vous les trouverez dans le livre Gassé-Galo de Yacouba Traoré. Ce livre vaut tout un conseil pour le régime de la transition actuelle. J’aimerais que s’il y a des gens qui ne l’ont pas lu, qu’ils prennent la peine de le lire.
Interview réalisée par Serge Ika Ki
Lefaso.net