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Mr. Edouard OUEDRAOGO : "J’appartiens à une génération qui bénéficiait d’un crédit à toute épreuve."

vendredi 30 mai 2008

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Aujourd’hui 28 mai 2008, L’Observateur Paalga a 35 ans. Créé à l’époque où la liberté d’expression n’était pas la chose la mieux partagée, le journal a traversé les âges grâce à la ténacité de son fondateur Edouard OUEDRAOGO qui a dû braver de nombreuses hostilités. C’est le moins que l’on puisse dire en parcourant ce grand entretien qui ne manque pas de piquant sur les péripéties qui ont marqué l’existence de cet organe, le tout premier du Burkina et de l’Afrique de Ouest-francophone. Rarement l’homme s’est autant livré ! Un témoignage-vérité simplement émouvant.


Et Si on vous demandait un petit historique de L’Observateur paalga, que diriez-vous ?

EO : Naturellement, rien ne me prédisposait à être directeur de publication d’un journal d’informations générales. J’étais professeur et à l’époque où je rentrais dans la vie active, si je ne voulais pas faire de vieux os dans la Fonction publique, le créneau le plus indiqué qui s’offrait à moi était la fondation d’une école privée. J’y étais enclin d’autant que mon épouse était elle aussi enseignante. D’ailleurs nous nous complétions en ce sens que j’étais littéraire et elle, scientifique. Ce qui est sûr, quand je suis rentré j’avais déjà opté de ne pas faire carrière dans la fonction publique. En effet j’étais fasciné par l’initiative de mon grand frère Martial OUEDRAOGO qui avait préféré se lancer dans l’aventure industrielle. Il a créé les premières manufactures nationales entièrement gérées par des nationaux.

Avant lui, il y avait des unités de production, mais qui étaient dirigées par des expatriés. Il a donc été le premier à créer une industrie nationale. Comme ses affaires marchaient bien, nous qui sommes ses petits frères avions voulu suivre l’exemple en essayant de voler de nos propres ailes hors de la Fonction publique. Initialement, j’avais pensé à l’ouverture d’une grande librairie papeterie à Ouagadougou. Il en manquait cruellement à Ouagadougou. Il y avait bien sûr des librairies mais pas de l’envergure que j’aurais voulue pour une capitale comme Ouagadougou. J’avais aussi été séduit en France par l’expérience de la FNAC (Fédération Nationale d’Achat des Cadres). De nos jours, elle s’est réorientée dans l’électronique mais en son temps, elle s’investissait essentiellement dans la promotion du livre. Fraîchement retourné au pays, j’avais en tête cette expérience que je voulais expérimenter à une moindre échelle au niveau de Ouagadougou.

C’était un projet assez ambitieux, mais chemin faisant, il y a eu des circonstances qui nous ont fait percevoir l’absence criarde de journaux d’informations générales libres qui puissent permettre à tout citoyen voltaïque qui voulait partager en toute liberté ses idées à ses compatriotes de le faire. Il manquait surtout un espace pour la défense d’un certain nombre de valeurs que nous appelons aujourd’hui droits de l’homme, libertés individuelles et collectives. Il y a des évènements que nous avons vécus et qui nous ont montré que le citoyen peut avoir raison mais face par exemple à l’arbitraire de l’administration et en l’absence d’un cadre d’expression libre, il peut être non seulement brimé dans ses droits, mais on peut même retourner l’opinion contre lui parce que tout simplement, il n’a pas de moyen pour s’exprimer. A l’époque, il n’était pas possible pour un citoyen victime d’un abus de l’Etat d’utiliser les médias publics qui étaient Carrefour africain, la radio et la télévision, pour se défendre.

Il y avait donc un manque à combler. C’est ce qui nous a incités à créer L’Observateur. Mon grand frère en était le bailleur de fonds. C’est d’ailleurs lui qui a eu l’idée et qui m’a demandé si j’accepterais quitter la Fonction publique, et au lieu de me lancer dans la librairie, de m’essayer au journalisme, sans pour autant renoncer à mon projet de création d’une librairie. Voilà comment L’Observateur est né le 28 mai 1973.

Comment est sorti le tout premier numéro ?

EO : J’avoue que ça été un accouchement très douloureux. Nous avons commencé les premières épreuves à 20h pour un tirage de 1000 exemplaires que nous avons terminé autour de 4h du matin. Normalement ce devrait être un travail de deux à trois heures de temps. Chaque fois que nous lancions la machine à imprimer, au bout de 200 exemplaires, nous nous rendions compte par exemple qu’il y avait une petite faute à la Une ou quelque part et il fallait recommencer. C’est dans ces conditions-là que le premier numéro et sortit. Çà se comprend, mais si nous nous étions humblement rendu compte de la difficulté c’est-à-dire de ce que cela demandait d’abord comme moyens humains pour tenir la cadence quotidienne, peut-être que nous aurions réfléchi par deux fois avant de nous engager dans l’aventure. Si également nous nous étions rendu compte de ce que ça représentait comme gouffre financier dans les premiers moments, nous aurions également réfléchi par deux fois. Enfin, si nous nous étions rendu compte de la capacité d’absorption du marché peut-être que nous aurions davantage hésité.

Nous avons vu les choses un peu en grand, nous étions optimistes parce que nous n’avions fait qu’une étude sommaire de marché. Mais quand nous avons lancé l’opération, nous nous sommes rendu compte que les choses n’étaient pas aussi simples que nous les avions prévues. Surtout sur le plan technique nous nous sommes rendu compte, que ce n’était pas aussi simple.

Nous avons commencé à monter le journal sans avoir même un technicien digne de ce nom en la matière. C’est le Français Michel FERRO qui nous a vendu les machines, qui était venu initier les machinistes à la conduite des linotypes offset qui nous a aidé à créer les premières matrices. Après son départ, le regretté Lazare BAMBARA qui a appris la naissance du journal et nous avait contacté a pris la relève. Il n’avait pas une formation adéquate pour ce travail et c’est par intuition qu’il a conçu les premières maquettes. Il était aidé par Hector ADAM’S qui lui était journaliste. Nous nous sommes débrouillés au niveau du secrétariat de rédaction. Au niveau du laboratoire, nous avions un machiniste qui était un touche-à-tout parce qu’il avait été formé à l’imprimerie de la mission. Il était laborantin et il savait aussi conduire les machines. Il a fallu donc se débrouiller ainsi pour lancer les premiers numéros.

Quelle était la composition de la première équipe ?

EO : La première équipe était vraiment réduite à sa plus simple expression. Pour constituer la rédaction, nous avons recruté trois jeunes que nous avons formés sur le tas. Il s’agit de Hector ADAM’S, Léopold SAWADOGO et Maurice BAMOUNI. Elle a été renforcée trois mois après par Edmond NANA qui était instituteur à l’époque. Il n’y avait qu’une seule personne pour saisir tout le journal avec tout ce que cela comportait comme risques en cas de maladie ou d’empêchement quelconque. Au niveau des services techniques, le chef laborantin aujourd’hui décédé était en même temps le chef de fabrication. Il était secondé par Christophe OUEDRAOGO. A l’imprimerie, il y avait trois machinistes.

Que sont devenus les uns et les autres ?

EO : De l’équipe d’origine, il y a hélas un certain nombre qui ne sont plus de ce monde. Paix à leurs âmes ! Je pense particulièrement à Léopold SAWADOGO de la rédaction qui dort à côté dans le cimetière municipal depuis 1980. Il y a aussi Lazare KALANZAGA du secrétariat de la rédaction et Aimé NANA qui était sur le plan technique la cheville ouvrière de la maison. Je pense aussi au gardien, le vieux Poko Joseph OUEDRAOGO décédé tout récemment. Mais parmi ceux qui vivent toujours, il y a une seule personne, Hector ADAM’S, qui n’est plus de la maison.

Pourquoi avoir choisi le titre L’Observateur ?

EO : Il faut d’abord dire qu’en matière de presse, c’est un nom générique comme Express, Magazine, Gazette… Mais, nous nous avons choisi le titre L’Observateur parce que le nom à lui seul résume la ligne éditoriale du journal en ce sens qu’un observateur, c’est celui qui évite de prendre parti.

Nous nous sommes donc défini comme un journal non partisan mais actif, et ouvert à toutes les sensibilités politiques, religieuses, philosophiques et autres, notre mission étant de permettre à toutes les femmes et à tous les hommes de ce pays de s’exprimer et de confronter leurs idées à celles des autres. Telle est notre ligne éditoriale. Nous accordons ce privilège à tout le monde y compris même ceux-là dont nous ne partagions pas les idées. Il y a des acteurs politiques qui ont utilisé nos colonnes pour s’exprimer alors que si leurs idées venaient à triompher, le journal aurait peut-être été contraint de changer de ligne éditoriale s’il ne cessait pas tout simplement de paraître. La preuve nous en a été administrée par les révolutionnaires qui ont triomphé le 4 août 1983. Avant leur avènement ils ont utilisé nos colonnes pour s’exprimer chacun défendant sa chapelle. Il y en a qui théorisaient sur la Révolution démocratique populaire, d’autres sur la Révolution nationale démocratique et populaire, tandis que d’autres encore soutenaient mordicus que l’étape de la lutte du peuple était la Révolution populaire de libération nationale… Tout l’arc-en-ciel révolutionnaire et marxiste qui opéraient dans la clandestinité dans les années 70 jusqu’en août 1983 s’est exprimé dans nos colonnes et nous n’avons jamais fait de discrimination bien que nous sachions que nous allions avoir des problèmes si toutes ces idées triomphaient. La preuve a été démontrée lorsque ces idées ont triomphé ; nous avons été incendié le 10 juin 1984. C’est dire donc que le nom L’Observateur était un choix éditorial et il n’a pas varié.

Mais je dois dire, pour éviter toute équivoque, qu’il y a eu avant, un journal du nom de L’Observateur créé par Frédéric GUIRMA. C’était sous la colonisation et il n’a pas eu une existence légale en tant que telle. J’étais très jeune, mais à ce qu’on m’a rapporté, il n’y a qu’une ou deux parutions. Dans tous les cas, le nom L’Observateur autrement dit en anglais « the observer » ou en italien « observatore romano », est vraiment générique et indique une ligne éditoriale dont nous ne nous sommes jamais écartés.

Mais justement par rapport à la ligne éditoriale du journal, on vous a invariablement accusé de rouler tantôt pour l’opposition, tantôt pour les hommes au pouvoir. Que répondrez-vous à ces accusations et comment les assumez-vous ?

EO : C’est souvent une question de perception, mais surtout de conjoncture. Sous par exemple la IIIe République, de 1978 à 1980, on nous a invariablement taxé d’être un journal de l’opposition. Tout simplement parce qu’à cette époque, la notion l’égalité d’accès de la majorité et de l’opposition aux médias d’Etat était encore méconnue. Alors qu’est-ce qu’il y avait comme espace d’expression pour l’opposition à l’époque qui était quand même assez consistante avec 25 députés à l’Assemblée nationale ? Il n’y avait que L’Observateur. Nous étions le seul journal qui publiait ses communiqués, ses articles ou ses critiques contre le gouvernement. Toute chose que n’osait pas naturellement faire le Carrefour africain, la radio ou la télévision nationale. Encore faut-il dire que même la majorité profitait aussi de nos colonnes puisque nous étions le seul quotidien à l’époque. Nous étions d’ailleurs le seul journal qui relayait l’information institutionnelle. Mais le fait de donner aussi la possibilité à l’opposition de s’exprimer à travers nos colonnes nous a value d’être traité comme un journal d’opposition. Et à ce titre, on a sévit sur nous à plusieurs reprises. Mais fort heureusement cela n’a pas eu d’effet sur le journal. Ce n’était pas comme aujourd’hui où une simple interpellation est surmédiatisée et déclenche de par le monde un mouvement de solidarité.

Mais bien avant cela nous avons même été indexé à un moment donné comme étant un journal à connotation régionaliste. C’était en 1974 dans un contexte politique national difficile. Il y a eu une grave crise au RDA, parti majoritaire au pouvoir, qui a opposé les deux grands ténors de ce parti, Joseph OUEDRAOGO et son cousin du Yatenga, Gérard KANGO OUEDRAOGO. Joseph était président de l’Assemblée nationale et Gérard, Premier ministre. En tant que chef de l’Exécutif, lui, avait les moyens de l’Etat à sa disposition alors que Joseph ne pouvait pas s’exprimer et il n’y avait que L’Observateur pour lui donner la parole. Comme il se trouvait que Joseph était de Ouagadougou tout comme le directeur de publication de L’Observateur, les gens ont vite pris le raccourci de dire que le journal prenait fait et cause pour lui parce qu’ils étaient tous deux de la même région. Au lieu d’apprécier notre position quand même professionnelle qui consistait à donner la parole à tout le monde, on a préféré nous associer à la mythique querelle entre la dynastie du Yatenga et celle de Ouagadougou.

Avec le renouveau démocratique en 1991, on nous a aussi accusé d’être avec ceux qui réclamaient par exemple une conférence nationale souveraine. Par ailleurs, les mêmes amalgames ont prévalu avec la crise née de l’assassinat de notre confrère Norbert ZONGO. Notre position a consisté malgré la charge émotionnelle suscitée par cette affaire Norbert ZONGO d’être un journal, je ne dirai pas au-dessus de la mêlée, mais qui respecte un certain nombre de principes tels que la présomption d’innocence. Avant que la preuve de la culpabilité du suspect, sérieux ou pas, soit établie par les voies judiciaires normales, on ne peut pas prendre parti ou mettre l’huile sur le feu surtout quand il s’agit d’une crise comme celle que nous avons vécue suite à l’assassinat de Norbert ZONGO.

Le rôle social d’un journal comme le nôtre, c’est de s’imposer un certain sens de l’équilibre de l’information pour ne pas jeter l’huile sur le feu. Je suis d’autant conforté dans cette position, que je ne suis pas sûr que si nous avions joué à la surenchère dans les années 1999, 2000 et 2001, que notre démocratie n’aurait pas gravement vacillée à un moment donné. En tous les cas, nous pensons avoir accompli au mieux notre tâche ou notre rôle à travers toutes les péripéties bonnes ou douloureuses que notre pays a connu. Evidemment, nous ne pouvons pas manquer d’être critiqués, mais il n’y a que ceux qui n’agissent pas qui sont exempts de toutes critiques.

A suivre vos propos, vous avez reçu plus de coups que de lauriers. Comment avez-vous pu traverser toutes ces épreuves pour célébrer aujourd’hui vos 35 ans ?

EO : Effectivement nous avons reçu beaucoup de coups voire assez de coups durs. Je citerai en exemples l’incendie du journal le 10 juin 1984 ; ensuite notre reprise manquée du 27 janvier 1989 quand on est venu sceller nos locaux et coupé l’électricité au poteau ; puis au plus fort de la crise de l’affaire Norbert ZONGO, ma personne a été traînée dans la boue, salie et alors de la manière la plus abjecte qui soit à travers des tracts parce que simplement une certaine frange de la société a estimé que le journal n’épousait pas correctement ses idées et ses combats. Il n’y a pas eu que cela. Mais il y a des petits faits de rien du tout qui ont compensé tous ces coups-là et qui nous incitent à dire que globalement il y a beaucoup plus de motifs de satisfaction. Quand par exemple, vous rencontrez des gens qui étaient dans des difficultés et qui viennent vous remercier parce que le journal les a aidés à s’en sortir, vous ne pouvez qu’en être fiers.

Ce matin (NDRL : Jeudi 22 mai 2008) par exemple, il y a une maison de la place qui m’a envoyé un cadre de lunettes comme cadeau d’anniversaire. Vous voyez que c’est un geste symbolique. Il y en a qui vont faire plus que ça mais ça reste un geste très fort en symbolisme. C’est aussi le cas du Larlé Naaba, que vous venez de rencontrer et qui m’a offert une canne. Ce sont ces genres de gestes qui illuminent souvent les ténèbres dans lesquelles nous sommes parfois plongés.

Monsieur le Directeur, on dit que les Burkinabè lisent peu et bien pire lisent mal. Votre avis ?

EO : Oui, c’est vrai que les Burkinabè lisent peu et même mal ! Le fait qu’ils lisent peu est peut-être une culture due à notre histoire. Ce n’est pas forcément propre qu’au Burkina. On lit généralement très peu dans les pays d’Afrique francophone en comparaison avec les anglo-saxons. Pour ne pas dire que nous avons un demi-siècle de retard par rapport à nos concitoyens des pays anglophones, nous remarquons que la presse est beaucoup plus développée par exemple au Ghana voisin ou dans le grand Nigeria. Mais il faut aussi dire que nous lisons peu parce que nous avons une presse qui n’est pas très engagée politiquement. Elle n’est généralement pas orientée. Qu’il s’agisse du quotidien Le Pays ou de L’Observateur, ce sont quand même des journaux d’informations générales, chacun avec sa sensibilité. Ce ne sont pas des journaux figés comme en Côte d’Ivoire où chacun a son quotidien.

Dans ce pays les journaux sont marqués par la fureur du combat politique qui divise la société. Les militants du RDR par exemple, ont leur journal et c’est un acte militant pour eux que de l’acheter. C’est pareil pour les militants du FPI ou du PDCI qui achètent les journaux liés à leurs partis les yeux fermés sans chercher à comprendre. Mais il y a le revers de la médaille d’autant qu’une presse aussi engagée reste fragile. C’est l’expérience douloureuse du quotidien Le Jour qui a été pendant longtemps un journal de référence. Il avait entre temps servi de tribune aux leaders du FPI alors dans l’opposition et quand ils sont arrivés pouvoir, ils ont voulu lui faire changer de ligne éditoriale. Ce qui n’a pas marché avec le refus de son directeur Diégou BAILLY qui est un grand professionnel. La conséquence, c’est que le journal a maintenant périclité. Il n’est plus le fleuron de la presse ivoirienne qu’il a été pendant longtemps.

Notre situation politique est plus vertueuse, les gens lisent tous les journaux. Ils ont certes des préférences, mais ce ne sont pas des lecteurs militants comme en Côte d’Ivoire. Cela peut expliquer que les gens lisent peu. Mais ils lisent surtout mal parce que ce n’est pas toujours qu’ils procèdent à une lecture seconde des articles. Ils lisent, et n’entendent et comprennent que ce qu’ils veulent entendre ou comprendre. Ils ne font pas toujours l’effort nécessaire pour bien lire entre les lignes pour mieux comprendre un article. Il y a des lecteurs qui ne se limitent qu’à une lecture première ou primaire pour juger.

Nous allons revenir sur un pan douloureux de votre histoire ; il s’agit de l’incendie de L’Observateur. Où étiez-vous, comment avez-vous appris la nouvelle, comment avez-vous réagit sur le coup ?

EO : L’incendie s’est passé dans la nuit du 10 juin 1984. En se référant au calendrier grégorien, c’était le jour de la pentecôte. A l’époque, on chômait le lundi de la pentecôte. Comme le lendemain du 10 juin était férié, l’atelier était fermé puisqu’il n’y avait pas de parution. Le personnel était donc réduit au strict minimum. J’ai quitté le journal aux environs de 20h 30mn. Arrivé à la maison, j’ai juste eu le temps de me déshabiller quand l’épouse de mon collaborateur immédiat, Edmond NANA m’a appelé pour me dire que le journal était en train de brûler. Je me suis rhabillé et suis revenu au journal. Je n’avais aucune idée de l’ampleur des dégâts.

Pour moi, j’avais pensé à un simple feu d’intimidation à la porte du journal. Je ne pouvais pas m’imaginer que c’était vraiment un acte bien planifié par des connaisseurs qui ont non seulement maîtrisé le gardien grâce à leurs armes, mais qui avaient suffisamment de chiffons qu’ils ont imbibé d’essence, puis les ont fourré dans les parties essentielles des machines avant d’arroser le tout d’essence et y mettre le feu. Tout était fait pour que rien ne subsiste.

Je suis arrivé trouver que les sapeurs pompiers avaient commencé à éteindre l’incendie mais le feu avait déjà largement mis les machines hors service. Une grande partie du bâtiment même avait été atteinte. L’ampleur des dégâts a totalement dépassé ce à quoi je m’attendais. Je ne pouvais pas m’imaginer que cela pouvait arriver au Burkina Faso, surtout à un journal qui finalement n’avait que le tort d’exister...

Et le lendemain ?

EO : Le lendemain évidemment, ça été un défilé continu au niveau de la maison. La nouvelle s’est répandu comme une traînée de poudre à travers la ville par le biais des médias comme RFI et Africa N°1 et par l’effet du bouche-à-oreille. Mêmes certains de ceux qui ont allumé l’incendie sont allés porter la nouvelle en ville en disant que le lendemain, ils en connaissaient qui allaient pleurer parce que eux ont eu à poser des actes. Dans tous les cas, les gens sont venus très tôt pour compatir. Aucune autorité ne s’est déplacée hormis Basile GUISSOU alors ministre de l’Environnement, mais il l’a fait à titre personnel.

Les gens sont venus constater de leurs yeux ce qui leur paraissait inimaginable. Il n’y a pas eu de réactions écrites de façon officielle. Il n’y en a eu que de la part d’individus comme les confrères Marc ZOUNGRANA, Rémi LEHOUN et Samuel TIENDREBEOGO. Un certain Brahima DIALLO qui était agent administratif à Zorgho nous a aussi écrit. Il n’y a eu qu’une seule réaction émanant d’une personne morale. Il s’agit de la LIPAD/PAI à travers Philippe OUEDRAOGO qui était le secrétaire général de leur journal, le Patriote. Ils m’ont apporté leur écrit à la maison et ils m’ont dit qu’ils ne sont pas idéologiquement d’accord avec nous mais qu’ils condamnaient la manière que les gens ont choisie pour manifester leur divergence vis-à-vis de L’Observateur. Il y a eu d’autres types de réactions comme des soutiens matériels et financiers de la part par exemple de Me Pacéré Titinga Frédéric, Paul BOUDA et Jean-Pierre GUINGANE.

Sans vouloir trop insister sur ce drame, que sont devenus les travailleurs : journalistes, techniciens après tout cela ?

EO : Après tout cela, nous nous sommes dit que ce n’était pas dans l’immédiat qu’on pourrait reprendre le journal puisque l’imprimerie avait entièrement brûlé. Compte tenu d’un certain nombre de contraintes, ce n’était pas non plus en ville qu’on pouvait le tirer. Mais nous nous étions dit qu’il fallait tout de même que nous nous tenions prêt à pouvoir reprendre le journal dans un bref délai. Nous ne pouvions pas continuer à assumer les charges salariales de tous les travailleurs et avons décidé de libérer d’entre eux et d’en redéployer. Nous avons procédé de la manière suivante : nous avons libéré les moins anciens et les plus jeunes qui n’avaient pas de charges familiales en leur payant leurs droits. Pour les plus anciens et ceux qui avaient des charges de familiales, nous avons décidé de les redéployer dans les différentes unités industrielles de mon grand frère Martial.

Il y en a qui sont ainsi allés à la SOVICA, d’autres à la PROCHIMIE et à la SONICO. Nous avions estimé que nous aurions besoin d’eux pour relancer immédiatement. Moi ma situation était beaucoup plus compliquée compte tenu de mon niveau. J’ai quand même eu des propositions au plan international notamment de la Francophonie pour aller travailler au Canada ou aux Seychelles. Mais je me suis dit que si le berger s’en va, les brebis vont se disperser. J’ai donc préféré rester. Même en restant, à un moment donné, une grande chancellerie m’a proposé de m’engager comme conseiller politique moyennant une rémunération assez alléchante. Mais je me suis dit que si j’acceptais cette proposition, il serait difficile de reprendre le journal, et d’ailleurs travailler dans cette chancellerie, pouvait donner lieu à des interprétations quand on sait qu’il y avait pas mal de chancelleries qui étaient indexées comme étant des bastions de l’impérialisme. Je ne vais pas donner le nom de ladite chancellerie, mais vous pouvez être sûr que ce n’était pas la Russie de l’époque. En réalité, j’ai décliné l’offre parce qu’il fallait préserver le crédit du journal. Si je m’étais engagé avec les représentants d’une grande puissance, cela pouvait ternir la crédibilité du journal. J’ai donc préféré attendre quand bien même que ce n’était pas facile pour moi. Mais comme on dit, tout finit par arriver à point pour qui sait attendre. La nuit a beau être longue, le jour finit par se lever.

Vous avez donc survécu physiquement et moralement. Parlez-nous de votre combat pour revenir.

EO : Ça n’a pas été facile. Nous avons eu une lueur d’espoir quand le Front populaire est arrivé au pouvoir en 1987. Il s’est annoncé comme un régime d’ouverture accueillant tout le monde. Le Front populaire voulant accepter d’autres sensibilités, cela a donné l’occasion à des partis politiques de pousser comme des champignons après la pluie. Nous nous sommes dit qu’avec cette vision du Front populaire, nous allions pouvoir reprendre nos publications. Nous avons donc acquis rapidement deux machines d’occasion d’Abidjan et commandé en quantité du papier journal. Mais nous étions toujours dans un régime d’exception et il y avait beaucoup de gens qui n’entendaient pas la libéralisation politique comme elle est aujourd’hui. Pour eux, il n’était pas question que ce journal-là revienne. Ainsi quand le bruit de la reprise du journal est parvenu aux autorités, le ministre de l’Information de l’époque, est passé me manquer à domicile. C’était la veille de Pâques en 1988. Il m’a fait dire de passer le voir le lundi de Pâques. Quand je suis allé le voir, il m’a dit que c’était bien que nous voulions reprendre. Il en était content d’autant que lui-même avait eu à écrire dans les colonnes du journal. Mais, il me demandait d’adresser une lettre aux autorités à travers son institution, pour les informer de cette volonté.

Il a estimé que c’était la meilleure façon de procéder pour éviter que ce qui nous est arrivé le 10 juin 1984 ne se reproduise plus. Ainsi, disait-il, le gouvernement allait prendre les mesures qu’il fallait, pour que nous reprenions en toute quiétude. Mais mon intuition me disait que cette proposition pouvait être un piège. Parce que nous pouvions écrire la lettre et nous entendre dire qu’il n’était pas opportun que nous paraissions maintenant et qu’il faudrait attendre encore. J’ai insisté pour dire que je ne comprenais pas cette « précaution », en lui demandant s’il était certain que si nous écrivions cela ne compliquerait pas la situation et que nous aurions une réponse favorable rapidement. Il m’a répondu que c’était juste pour éviter que ce qui nous était déjà arrivé ne se reproduise. Il faut dire aussi que j’insistais ainsi parce que notre récépissé de reconnaissance était toujours valable puisqu’au texte ne le remettait en cause. J’avais donc de sérieuses appréhensions. Je pense aujourd’hui qu’il était de bonne foi.

J’ai demandé un temps de réflexion pour pouvoir consulter un certain nombre de personnes. Nous nous sommes dit que si malgré notre récépissé de reconnaissance, ils nous demandent une lettre, refuser de le faire, serait comme une espèce de défi. J’ai donc fini par écrire la lettre qui a été répercutée au comité révolutionnaire. Et ce que je redoutais s’est produit. Ils m’ont répondu qu’ils se félicitaient de cette volonté de reprendre mais nous demandaient d’attendre parce qu’ils étaient en train de prendre une autre loi régissant la presse et qui allait permettre d’éviter le genre de sinistre que nous avions subi dans la nuit du 10 juin 1984. Quand j’ai reçu cette réponse, je m’en suis pris à moi-même d’être tombé dans le piège. Néanmoins, nous avons décidé d’attendre un peu. Cette attente va durer au total du mois d’avril 1988 à fin 1990. Mais entre temps nous avons commencé à bouder parce que nous n’en pouvions plus.

Nous avions déjà payé cher du papier à Abidjan et le fournisseur tout comme le transitaire nous poursuivaient pour leurs reliquats. A force d’insister pour qu’une solution acceptable soit trouvée à notre problème, une réunion a fini par être organisée dans le bureau du ministre en charge de l’information en présence d’une autorité du Front Populaire. Cette autorité m’a dit qu’elle reconnaissait que nous étions dans des difficultés surtout qu’il y avait des employés qui attendaient. Alors, elle a proposé de nous donner un coup de main en attendant, mais qu’il n’était pas question que paraissions dans l’immédiat. Je n’étais pas d’accord avec la proposition que j’ai poliment refusé, en insistant sur notre volonté de reprendre. A cours d’arguments et devant notre insistance à jouir de nos droits, puisque notre récépissé était toujours valable, elle a fini par s’énerver et nous a asséné que puisque nous disions avoir la loi avec nous, eh bien que nous y allions donc !

C’est suite à ce malentendu que nous avons lancé le 27 janvier 1989, le numéro 2856. Je vous avoue qu’une espèce de frénésie s’est accaparée de la ville ce jour-là. Quand les gens ont vu les journaux dans les kiosques, dans la rue, ils se sont dit que le Front populaire avait tenu sa promesse de faire de la liberté, une réalité parce que la parution du journal en était le symbole le plus vivant. Le fait qu’il soit revenu dans les kiosques était la preuve que l’espoir était désormais permis. Malheureusement, cette exultation sera de courte durée car cette parution fera comme l’effet d’une bombe au sein du pouvoir. En effet, les CR qui étaient en conférence à la Maison du peuple pour évaluer cinq ans de révolution s’en sont emparés. Les jusqu’au-boutistes qui avaient le rapport des forces en leur faveur, à l’époque, ont pesé de tout leur poids sur la balance et ils ont obtenu, non seulement que la publication de ce numéro soit condamnée comme illégale alors qu’il n’en n’était rien puisque notre récépissé était toujours valable, mais en plus, qu’on poursuive les responsables du journal et surtout, qu’on mette des scellés sur nos portes ! La mise des scellés était un nouveau coup dur parce que tout le monde sait qu’on ne peut pas briser un scellé au risque de se retrouver en prison. Pour être sûr qu’on ne réapparaît plus, ils sont allés jusqu’à couper l’électricité à partir du poteau. Pour un acharnement, il faut dire qu’on pouvait difficilement en faire plus !

Nous sommes restés dans cette situation pendant une année, notamment jusqu’en janvier 1990. Dans la foulée, une nouvelle loi a été prise et qui stipulait entre autres que tout journal qui avait cessé de paraître pendant au moins un an, quelque soit le motif, était obligé de demander une nouvelle autorisation avant de pouvoir réapparaître. A partir de ce moment, nous étions piégés puisque notre récépissé de 1973 devenait caduc. Nous étions donc obligés de demander une nouvelle autorisation. Qu’à cela ne tienne ! Quand nous avons déposé notre demande, on nous a soumis la condition de changer le nom du journal pour pouvoir avoir un nouveau récépissé. C’est pour cette raison que nous avons ajouté le mot « paalga » à L’Observateur. « Paalga » comme vous le savez veut dire nouveau en langue nationale mooré. Aujourd’hui donc nous nous appelons L’Observateur paalga c’est-à-dire le nouvel observateur.

La société civile ou des personnalités ne vous ont-elles pas accompagné dans cet épique combat de reprise ?

E.O : Oui nous avons eu des gestes et des témoignages d’individus. Sinon nous avons eu très peu ou presque pas de soutiens de façon organisée. Vous savez, comme on dit, quand le caillou tombe du ciel, chacun protège sa tête. Il y a même eu un moment où les gens n’osaient pas dire L’Observateur ; mais plutôt l’ex-Observateur. Cela jusqu’au jour où je me suis énervé en disant que si on ne pouvait pas prononcer le vrai nom du journal, de cesser de dire ex-observateur. C’est surtout avec l’arrivée du Front populaire que des gens se sont manifestés, notamment du côté du MBDHP et de la CGTB…

Avez-vous repris avec l’ancienne équipe ou avez-vous procédé à un renouvellement entier du personnel ?

E.O : Nous sommes quand même repartis avec l’ancienne équipe surtout au niveau de l’atelier et du laboratoire. C’est au fur et à mesure que les effectifs se sont étoffés. Au niveau de la rédaction en plus de moi-même, il y avait Edmond NANA, puis Hector Désiré Bationo qui nous a rejoints et est reparti par la suite. En tout cas dès que nous avons relancé le journal, l’opinion nous a favorablement accueilli et pendant quatre ans nous avons réussi l’exploit de n’avoir jamais enregistré un seul jour un seul invendu. Nos machines et nos stocks de papier-journal ne nous permettaient pas de satisfaire pleinement à la demande qui était plus forte que nos capacités. Je crois d’ailleurs que c’est cette opportunité d’affaires offerte par ce besoin de lecture de journaux qui a occasionné la naissance de bien d’autres titres.

Pouvez-vous nous citer quelques grands noms qui ont signé dans les colonnes de L’Observateur ?

E.O : Il y a eu vraiment de grandes plumes qui ont fait la notoriété du journal. La plupart des grands articles de fond pendant cette période étaient écrits par des gens extérieurs au journal. Ils ont contribué au point de devenir moralement comme faisant partie du personnel. Sans être exhaustif, je citerais à ce titre, Son Excellence Frédéric GUIRMA et les professeurs Laurent BADO et Basile GUISSOU. Bien avant eux, il y a eu un instituteur du nom de Gnonka Justin OUEDRAOGO qui était un grand érudit. Il n’est malheureusement plus de ce monde. C’était un polémiste redoutable et un grand syndicaliste. Il a été le tout premier à animer vraiment les rubriques politiques. Sur le plan des lettres et des arts, nous avons également eu de belles plumes à travers feu Christophe Mamadou OUATTARA qui dès juillet 1983 a publié les premières nouvelles et les poèmes à travers nos colonnes. Je pourrais aussi citer Jean-Pierre GUINGANE ou Me PACERE qui ont également publié des poèmes. Me PACERE, premier avocat du pays, a même eu à publier certaines belles lettres de ses plaidoiries.

Monsieur le Directeur, dans la profession, on vous appelle affectueusement « le doyen », alors qu’il semble que vous n’êtes pas le plus ancien en âge. Comment expliquez-vous cela ?

E.O : Parmi ceux qui sont encore sur la brèche, il y a Roger NIKIEMA qui est mon aîné de 6 ans. Il y en a d’autres mais qui ont quitté la profession comme par exemple Jean Modeste OUEDRAOGO et Pierre DABIRE. Mais si on m’appelle « le doyen » c’est peut-être parce que je suis toujours disponible autant que je le peux. C’est aussi le fait qu’il y a une espèce d’identification heureuse entre ma personne, Edouard OUEDRAOGO, et L’Observateur paalga en tant que pionnier de la presse écrite, illustrée et imprimée. En tout cas, quand on se retrouve dans l’espace francophone, à Abidjan, Dakar et même bien au-delà, on m’appelle ainsi et je suis toujours très heureux de cette considération. Il faut dire aussi que la plupart de mes promotionnaires ont quitté la profession pour se consacrer à autre chose.

Pour certains observateurs, votre journal est une véritable institution. En êtes-vous conscients au niveau du journal et que faites-vous pour mériter cette marque de considération ?

E.O : C’est un statut redoutable. C’est peut-être par le fait de notre histoire. Si nous considérons notre départ, les difficultés que nous avons rencontrées, ce que nous sommes devenus avec ce que nous avons tenté d’imposer comme matrice à la presse écrite au Burkina, nous pouvons être considéré comme tel. Etant le pionnier, nous avons été un peu l’unité de mesure à partir de laquelle chacun s’est déterminé. De toute façon, nous travaillons à mériter ce qualificatif. Mais il y a des moments où nous nous demandons si nous le méritons. Il nous arrive d’être totalement abasourdit par les erreurs que nous faisons. On a beau être doyen, on a beau être une institution, le travail que nous exerçons est assez délicat. On n’est pas à l’abri des erreurs voire des fautes. Mais nous demandons surtout aux gens de nous comprendre. Qu’ils comprennent qu’on a beau être doyen ou pionnier, on peut toujours trébucher. Le journalisme est une école permanente. Comme dans n’importe quel métier intellectuel, on n’est pas exempt d’erreurs. Je demande vraiment à l’opinion, aux lecteurs et aux confrères également de nous comprendre et de savoir être miséricordieux quand il arrive que le doyen, le pionnier de la presse, burkinabè trébuche. Qu’ils l’aident à se relever.

Depuis 35 ans d’existence, votre journal a connu nombre de procès mais n’en a perdu qu’un seul. Comment expliquez-vous cette performance ?

E.O : D’abord je tiens à dire que la plupart de ceux qui nous ont assigné en justice jusque-là ne maîtrisaient pas bien le code de l’Information et la procédure applicable en cas de procès. C’est un droit tout à fait spécial.

Beaucoup de plaignants y compris même leurs avocats pendant longtemps ne maîtrisaient pas à fond cette procédure particulière. Mais il y a des avocats qui sont de plus en plus pointus. A la longue, il se pourrait qu’on ait des avocats spécialistes des affaires de presse aussi bien pour accuser que pour défendre.

Mais je veux enfin dire que si nous nous en sommes souvent bien tirés, c’est que et ce n’est pas le propre du Burkina, la justice connaît bien un peu la spécificité du métier du journalisme et la noblesse de sa mission. Ainsi, le plus souvent, les juges en leur âme et conscience jugent avec équité, mais surtout avec le sens de la responsabilité en tenant compte de la spécificité du métier. Je dirai qu’il y a comme une espèce de complicité positive entre le juge et le journaliste sans pour autant que les juges ne fassent des parjures. C’est pour cela d’ailleurs que nous en appelons à la dépénalisation des délits de presse. Dans ce sens, je suis heureux d’annoncer à l’ensemble de la profession, que le Premier ministre qui est passé dans nos locaux (ndlr : le 21 mai 2008), à l’occasion de ce 35 e anniversaire a promis au nom du gouvernement, que ce problème sera examiné comme il se doit et qu’un cadre sera bientôt trouvé où seront définis les droits et les devoirs du journaliste de manière à ce que, sans cultiver l’impunité, on puisse aller à la dépénalisation dans le respect bien compris de nos droits et de nos devoirs déontologiques.

Parlant de droits et de devoirs déontologiques vous qui avez tout vu dans ce métier, (les choses du jour comme celles de nuit) quel regard avez-vous sur le parcours du journaliste burkinabè ?

E.O : C’est une vaste question. Pour m’en tenir au niveau de la déontologie, du profil et du crédit du journaliste, je dirai que j’appartiens à une génération, celle des années 70-80, qui bénéficiait d’un crédit à toute épreuve. Le journaliste à cette époque bénéficiait du même crédit que le prêtre ou l’imam.

Tout ce que nous disions était presque accepté et vécu comme parole d’évangile. Le journaliste étant par essence un régulateur des torts, il évitait de commettre les actes qu’il dénonçait chez les autres. Malheureusement, de nos jours, il y a quand même beaucoup de choses à dire et à redire aux niveaux de la moralité institutionnelle et de la probité professionnelle des journalistes.

Il y a eu des moments où les rapports du REN-LAC, structure chargée de faire chaque année la perception de la corruption dans notre pays, présentaient les journalistes parmi les dix corps les plus corrompus. Fort heureusement que nous avons régressé et nous sommes en train de sortir de cette liste honteuse. Mais il y a encore beaucoup de choses à faire pour que le journaliste regagne sa crédibilité d’antan.

Je sais que le journaliste achète aussi le sucre au même prix que les autres. Je sais également qu’il achète l’essence au même prix. La vie d’aujourd’hui est certainement beaucoup plus dure que pendant l’époque à laquelle je faisais référence, mais ce n’est pas une raison pour baisser la garde. Nous devons nous efforcer d’être au-dessus de tous soupçons.

Quel devrait être selon vous, la qualité première d’un journaliste ?

E.O : C’est d’abord de ne dire que ce qu’il sait ou ce qu’il pense être vrai. C’est de ne pas biaiser la réalité. En aucun moment, il ne faut accepter de l’argent pour taire la vérité, ni accepter l’argent pour la biaiser. On peut choisir selon la ligne éditoriale de taire certaines vérités. Il s’agit là d’un choix éthique. On peut le faire quand on l’estime nécessaire. Le journaliste dans le sens bien compris de sa mission sociale peut taire certaines vérités quand il estime que celles-ci peuvent créer une grave crise sociale dans son pays ou peuvent susciter la haine interethnique, interraciale ou interconfessionnelle. Ou bien quand il s’agit d’une vérité qui n’a aucun intérêt ou aucune espèce d’incidence sur la préservation du bien commun. Par exemple quel intérêt il y a-t-il de dire que telle personnalité a une maîtresse si elle exécute bien sa mission ? Qu’est-ce que l’opinion gagne à savoir que telle ou telle personne a une maîtresse je ne sais où ? C’est un exemple grossier pour dire que même si cette vérité est fondée, dès lors qu’elle ne change en rien l’ordinaire ou la gestion de la cité et des biens communs, elle ne mérite pas l’attention. Autant il y a des vérités qu’on peut dire, autant il y a celles aussi qu’on peut accepter de taire selon son éthique professionnelle.

Monsieur le Directeur, avec votre capital d’expériences, qu’est-ce qu’il faut à la presse burkinabè pour rehausser son image ?

E.O : Je n’ai pas de recette magique. Il y a eu beaucoup de séminaires sur la question. D’aucuns pensent que le jour où on va doter notre profession d’une convention collective définissant les bases de rémunération minimum permettant de donner des salaires décents aux journalistes, on pourra peut-être mieux l’assainir. J’attends de voir. Je ne suis pas contre la convention, bien au contraire, je souhaite que cette convention collective aboutisse parce qu’elle sera une preuve pour dire que ce n’est pas forcément que les gens sont très mal payés qu’ils sont corrompus. Il y a des gens qui ne gagnent pas beaucoup mais qui ont une haute idée de leur personne et qui ne se laissent pas corrompre. L’argent n’a jamais suffit à personne. Même si on quintuple les salaires, les besoins aussi vont augmenter dans les mêmes proportions sinon plus. Comme on dit, il faut savoir borner ses besoins et ses désirs à la limite de ses moyens. Je ne suis pas sûr que le niveau de rémunération des journalistes soit la vraie raison de la concussion qui a gagné le milieu. On ne dira pas que les journalistes de la radio, de la télévision ou de Sidwaya sont les agents les plus mal payés de la Fonction publique burkinabè ; mais quand on parle de la corruption tout le monde est concerné. C’est toute la profession qui est gagnée par la culture du « gombo ». On attend en tout cas, que la convention collective soit adoptée pour que les patrons de presse puissent aussi légalement sévir contre les brebis galeuses.

Pour revenir à vous et à L’Observateur, pourquoi votre nom de plume Nakibéuogo ?

E.O : J’ai eu beaucoup de noms de plume. Les gens ont essentiellement retenu le nom Nakibéuogo parce que c’est avec ça que je signais la plupart de mes éditoriaux. Quand nous avons commencé le journal, nous avons voulu éviter le vedettariat en ville, voire en notre propre sein et la solution que nous avions trouvée était d’utiliser des pseudonymes. Vous savez, le vedettariat peut détruire toute une rédaction. J’ai eu à signer sous plusieurs autres pseudonymes par exemple N…, Pierre Emmanuel KOUMA, Paul Taryam etc. Quand il s’agissait d’un écrit dans lequel nous voulions vraiment dégager notre position, j’utilisais Nakibéuogo. C’est un nom provocateur pour en quelque sorte conjurer le sort. Dans le temps où la médecine n’était pas très développée, les enfants drépanocytaires ne vivaient pas longtemps. Ainsi une mère pouvait avoir une succession d’enfants qui mourraient en bas âge. Alors on donnait ce nom aux enfants auxquels on ne donnait pas longue vie, pour conjurer le sort. Et ceux qui avaient ce nom étaient ceux qui, curieusement, vivaient le plus souvent pendant longtemps. Nous avons puisé dans notre culture avec l’espoir que celle-ci nous accompagne. Car, voyez-vous, quand nous sommes nés en 1973, ceux qui connaissaient les difficultés financières que nous allions rencontrer dans la gestion d’un journal ne nous donnaient pas plus d’une année d’existence. 35 années après nous sommes là !

Un de vos enfants est-il sur vos traces ?

E.O : J’ai trois enfants, le premier est pharmacien, le deuxième est architecte et la dernière elle, a commencé en Arts et communication à l’université de Ouagadougou, et suite à l’année blanche, elle est allée poursuivre au Québec en communication et marketing. Elle vit actuellement avec son mari à Paris. Mon souci était que chacun trouve un métier pour pouvoir vivre. Parce qu’avec le journal ce n’était pas évident, surtout au regard de l’incendie que nous avons connu. Nous ne pouvons donc pas tout reposer sur le journal.

Lequel de vos enfants va diriger le prochain 35 ème anniversaire, dans 35 ans ?

E.O : J’espère qu’ils seront tous là. Pour ma part, je sais que je ne serais plus là même si la science fait maintenant des prouesses. A savoir si j’aurais même la chance d’atteindre le cinquantenaire du journal.

Mais le cinquantenaire, c’est juste à côté et nous sommes certains que vous serez là !

E.O : C’est à côté mais…, comme le marathon de Laye, il y en a qui verront Laye mais pour y arriver, ça ne sera pas facile. Que Dieu vous entende, qu’il fasse que nous nous retrouvions dans 15 ans.

Mais qu’en est-il de l’héritage du journal ?

E.O : Quelque soit celui qui va prendre le journal, la ligne ne devrait pas changer. Nous travaillons à mettre des garde-fous, à rédiger une charte et à mettre en place un comité de gestion avec les travailleurs du journal de telle sorte que personne ne puisse modifier sa ligne quelque soit les moyens dont il disposera. Sinon si ça devait arriver un jour, ce serait trahir la vision des fondateurs. La plupart des grands journaux qui ont eu de telle initiative, leur ligne éditoriale n’a jamais été touchée.

Et pour la succession ?

E.O : Pour la succession, nous pouvons dire que nous l’avons amorcée au plan Rédactionnel depuis un bout de temps. Il y a un Directeur de la rédaction et un Rédacteur en chef investis des pleins pouvoirs. Ce sont des jeunes. La relève est donc assurée à ce niveau. J’avais même voulu passer la direction de publication, mais il y a encore des contraintes juridiques qu’il faut régler d’abord. Actuellement, la loi dispose que le Directeur de publication doit être celui qui a qualité à pouvoir répondre en justice. S’il n’y avait pas cet obstacle, j’avoue que j’aurais déjà passé la main pour être simplement Directeur général pour superviser ou m’occuper de la gestion. Je ne suis pas heureux de me voir en train de répondre à la justice.

Actuellement, j’ai constaté que quand je me présente à la justice, les juges qui ont peut-être l’âge de mes enfants me donnent une chaise pour m’asseoir alors que normalement je devrais rester débout. Je profite de l’occasion pour remercier ces jeunes magistrats pour cette marque de déférence à mon égard. Mais imaginez qu’un jour le journal soit condamné à une peine de prison, ce n’est pas quelqu’un d’autre qui ira en prison purger cette peine, mais ça serait bien moi avec l’âge que j’ai. Le jour où l’on dépénalisera, un Directeur de publication ne serait plus obligé d’aller en personne au tribunal, encore moins purger une peine de prison. Ça deviendrait l’affaire des avocats puisque les condamnations seraient seulement pécuniaires.

35 ans d’expérience, ce n’est pas 35 mois. Est-ce que vous avez quelques petites anecdotes croustillantes sur le métier aussi bien à l’intérieur de L’Observateur qu’à l’extérieur que vous accepteriez bien de nous faire partager ?

E.O : Je retiens qu’en 1975, j’ai obtenu une bourse d’études en Allemagne et je devrais loger dans un hôtel à Stutgart. Une nuit, quand je me suis couché dans mon lit, je me suis mis à tripoter les nombreux boutons qu’il comportait. Entre temps, le lit s’est mis à vibrer et à me secouer dans tous les sens ; tout naturellement, surpris, j’ai bondi sur mes jambes. C’était un masseur mais je vous avoue que j’ai eu très peur puisque c’était la première fois que je découvrais cela. Une autre anecdote, en 1994, j’étais à Washington, dans un grand hôtel également. Pendant que j’étais dans ma chambre la nuit, j’ai entendu du vacarme dans le couloir. C’était comme si des jeunes se bagarraient et j’ai voulu voir ce qui se passait. Quand j’ai ouvert ma porte et que je me suis retrouvé dans la sorte de vestibule attenant à la chambre, sans y prêter attention, la porte s’est renfermée. Je n’avais pas de clé alors que j’étais en slip. J’ai aperçu quelqu’un et je l’ai appelé pour qu’il m’aide et quand il a vu que j’étais en slip, il a dû se dire que j’étais un fou ou un obsédé sexuel et il a détalé. Un autre passait, lui aussi quand il m’a vu a pris ses jambes à son cou. Ils sont allés alerter le veilleur de nuit qui est venu et a ouvert ma porte. C’était autour de 2 heures du matin. Ma chance a été que c’étaient des hommes. Cela aurait été des femmes, surtout dans un pays comme les Etats-Unis, qu’on m’aurait accusé de tentative de viol et de je ne sais quoi d’autre et je me serais certainement retrouvé enchaîné et expédié à Ouagadougou. J’avais vraiment eu de la chance car dans la même semaine, un diplomate avait été expulsé malgré son immunité parlementaire parce qu’il avait tapoté les fesses d’une Américaine. Il y a plein d’autres anecdotes...

Si on vous demandait éventuellement les reportages qui vous ont beaucoup marqués dans votre vie professionnelle négativement ou positivement ?

E.O : Là, c’est une colle. Je voudrais tout simplement rappeler ce fait majeur qui m’a beaucoup marqué. Un dimanche où je n’ai pas participé à la conception du journal parce que je traitais un palu et que je suis resté à la maison, vers 23 h on m’a appelé pour dire qu’il y avait quelque chose de grave. On m’a fait savoir que nous avions monté une lettre mettant en cause le président de la communauté musulmane et que si celle-ci paraissait le lendemain, la communauté musulmane serait à feu et à sang. J’ai voulu comprendre, on m’a dit que malheureusement tous les films étaient déjà flashés et envoyés à l’imprimerie. A peine j’ai raccroché, qu’on me rappelle pour me dire que le président d’honneur de la communauté musulmane, Oumarou KANAZOE, s’était déplacé au journal et insistait pour me rencontrer. Malgré le palu dont je souffrais, je me suis rendu au journal. Quand j’y suis arrivé, j’ai trouvé au secrétariat KANZOE, Alizèta Gando, et le président de la communauté musulmane. KANAZOE a pris la parole pour dire qu’ils sont venus nous supplier de tout faire pour que la lettre incriminée ne paraisse pas. Je lui ai fait comprendre que l’impression du journal avait déjà commencé. Il m’a demandé de tout faire arrêter et qu’il était prêt à supporter les conséquences pécuniaires parce que cette lettre risquait de provoquer une guerre civile. Nous avons assumé notre responsabilité sociale en arrêtant les machines. Nous avons fait revenir le laborantin pour supprimer ladite lettre. Et à KANAZOE de nous demander le prix à payer. Nous avons refusé tout remboursement en lui faisant comprendre que nous l’aurions fait si c’étaient les Catholiques ou les Protestants qui étaient venus nous voir et que nous assumions tout simplement nos responsabilités. Nous nous sommes dit que dans le contexte burkinabè c’était faisable. Cela n’aurait pas été possible en France au journal Le Monde ou aux Etats-Unis au Washington Post... C’est une édition qui m’a vraiment marqué parce qu’il a fallu tout reprendre et décider en tenant compte à la fois de notre liberté et notre responsabilité dans le destin national.

Et si Edouard OUEDRAOGO n’avait pas été journaliste, qu’aurait-il été ?

E.O : Naturellement j’aurais été professeur des lycées et collèges. Mais j’aurais peut-être terminé à l’université parce que j’étais déjà pressenti pour aller enseigner la philologie dont j’ai le diplôme. C’est une matière qui étudie l’évolution des langues en rapport avec les civilisations. Elle enseigne comment la langue française a évolué du latin au français actuel en passant par le français médiéval avec la chanson de Roland jusqu’à la proclamation du français comme langue officielle en 1511 par François 1 er. J’aurais donc terminé comme enseignant à l’université. Mais j’aurais vraisemblablement évolué par la suite comme fonctionnaire international dans une institution comme l’UNESCO. Mais comme on dit, tout mène au journalisme, tout comme le journalisme mène à tout.

On sait que L’Observateur, c’est aussi une lettre pour Laye. Pouvez-vous nous parler un peu de cette rubrique fétiche ?

E.O : Son initiateur a été Edmond NANA à la suite de pas mal de problèmes sur lesquels je ne reviendrai pas. Mais il faut retenir qu’il avait déjà servi à Laye. Il a eu l’idée de la rubrique. Elle est actuellement une œuvre commune.

Quel sens donnez-vous aux manifestations que vous organisez pour marquer les 35 ans du journal ?

E.O : Nous plaçons cet anniversaire sous le signe de la confraternité. C’est d’ailleurs ce que vous aussi vous ressentez et je pense que c’est la raison de tout ce que vous faites pour la réussite de cette commémoration. Nous avons voulu que ça soit une fête populaire, c’est pour cela que nous initions une manifestation comme le grand dassandaga qui aura lieu le 31 mai prochain. Ce sera une grande rencontre entre la ville et la campagne. Nous voulions également que cette commémoration soit aussi une fête sportive d’où l’idée de ces matchs atypiques qui ont opposé les supporters de l’EFO à ceux de l’ASFA-Yennenga et surtout entre l’opposition et la majorité. Au-delà de l’aspect purement ludique, nous y voyons un symbole pour montrer que la lutte pour la conquête du pouvoir d’Etat, sa conservation ou sa gestion n’est pas un jeu mais n’est pas non plus la guerre. Que ce soit ceux qui sont aux affaires ou ceux qui aspirent un jour à gérer le pouvoir d’Etat, ils sont seulement des adversaires. De plus, cela doit se faire dans une saine émulation comme dans une compétition sportive où l’on se combat sans que le vainqueur ne considère le vaincu comme l’agneau du sacrifice qu’il faut égorger ou que le vaincu ne considère le vainqueur comme un ennemi contre lequel il faut une revanche à tout prix. Nous sommes très heureux que le pari ait été tenu.

Par Drissa TRAORE et C.A.


Pionnier et guerrier

Il aura tout donné pour un idéal. Il aura tout risqué pour une œuvre. Edouard OUEDRAOGO, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a une vie pleine qui fait cas d’école. Une vie façonnée par la pure tradition chrétienne où l’on apprend qu’avec la foi, on peut déplacer les montagnes. Né officiellement en décembre 1943 selon l’état civil et le 12 octobre 1941 au regard de son livret de baptême, auquel il a plus foi. Edouard OUEDRAOGO a su manier ambitions et conviction comme bouclier contre les épreuves de la vie. Après des études primaires et secondaires dans son Ouagadougou natal, avec une parenthèse d’année à l’Ecole Normale de Dabou en Côte d’Ivoire (1962-1963), il entamera des études supérieures en 1965 au Centre d’Etudes Supérieures de Ouagadougou qu’il poursuivra à Dakar au Sénégal (1966-1968), puis à Dijon en France (1968-1969), études sanctionnées par une Maîtrise es-lettres.

Rentré au pays en 1969, il s’est vite laissé convaincre que l’avenir pour lui, était dans le secteur privé bien qu’il exerçait en qualité d’enseignant des lycées et collèges à la Fonction publique (1969-1972). A l’image de son grand frère Martial OUEDRAOGO, premier industriel burkinabè, il décide de faire ses adieux à la fonction enseignante pour voler de ses propres ailes. Une décision qui comportait trop de risques en ces années 70 où l’initiative privée était encore perçue comme l’œuvre des « fous ». Surtout dans un domaine doublement risqué : la création d’un journal. En plus des efforts budgétaires qu’une telle entreprise nécessite, il y a le fait qu’il s’agit quand même de l’exercice de la liberté d’expression, chose hautement surveillée à cette époque-là. Cependant avec un optimisme de fer, l’homme se jette à l’eau. Une véritable odyssée commença ainsi pour lui le 28 mai 1973, avec la parution du premier numéro de L’Observateur. Un numéro d’ailleurs sorti dans la douleur puisque tout était à créer pour sortir les1000 premiers exemplaires. Le Burkina Faso et l’Afrique de l’Ouest-francophone venaient ainsi d’assister à la naissance de leur premier quotidien illustré et imprimé. Cette œuvre fait de Edouard OUEDRAOGO le pionnier de la presse écrite.

Affectueusement appelé « le Doyen », c’est avec une volonté inébranlable de réussir et sans compromission que Edouard OUEDRAOGO a conduit son canard qui fête ce 28 mai 2008 ses 35 ans d’existence. Une existence qui a connu pour le moins une histoire tumultueuse. Cette aventure de brave lui vaut aujourd’hui de nombreuses marques de reconnaissance. Il a été successivement fait Chevalier de l’Ordre National, puis Chevalier de l’Ordre du Mérite et Chevalier de l’Ordre du Mérite français. L’Union internationale de la presse Francophone (UPF) l’a distingué en 1995 avec le prix de « la liberté d’expression » et le CIVIPAX avec son prix spécial pour la démocratie et la paix. Véritable acteur de la liberté de presse et d’expression, dans un pays qui a connu plusieurs régimes d’exception, il a fait paraître chez l’édition Paalga en 1996, un ouvrage au titres très évocateur : « Voyage de la Haute-Volta au Burkina ». Qui mieux qu’un tel témoin de l’évolution sociopolitique de notre pays peut en parler pour les jeunes et futures générations ?

Il faut dire que Edouard OUEDRAOGO reste un repère pour les jeunes que ce soit sur les sentiers du journalisme ou de la vie tout court. L’homme n’a pas fait que vivre, il a construit une vie qui est un modèle qui devrait beaucoup inspirer. Membre (souvent fondateur) de plusieurs associations professionnelles et de la Société civile, son expérience et sa sagesse, il les partage avec les autres pour le bonheur de la profession de journaliste et pour la paix et le développement du Faso. Doyen, que Dieu te garde encore longtemps car de ta « sève » nous ne saurons profiter à satiété !

Par Drissa TRAORE.

L’Opinion

P.-S.

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