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Sénégal : Abdou Latif Coulibaly inculpé

Communiqué du CDEPS

mercredi 21 juillet 2010

Au mois de juillet 2007, notre confrère Abdou Latif Coulibaly, Directeur de publication de l’hebdomadaire « La Gazette », a publié un ouvrage intitulé : « Loterie Nationale Sénégalaise (LONASE) : chronique d’un pillage organisé ».


A la suite de cette publication, le Directeur Général de la dite Société et la Lonase, elle-même, ont cité l’auteur à comparaitre devant le tribunal régional hors classe de Dakar.

Le tribunal saisi, statuant contradictoirement, en audience pénale, a décidé de débouter les plaignants, en déclarant irrecevable la procédure initiée par le directeur Général de la LONASE.

Ce dernier a immédiatement interjeté appel de la décision rendue par le Tribunal régional de Dakar. Cette affaire évoquée devant la cour d’Appel de Dakar, le 18 juin 2010, a été renvoyée à l’audience de la Cour fixée au 5 novembre 2010.

Après avoir perdu à l’issue de la première étape de la procédure et en attendant le verdict de la Cour d’appel, le même plaignant avait sollicité et obtenu du parquet de Dakar de déposer, en son nom et au nom de la LONASE une nouvelle plainte, auprès du juge d’instruction du premier cabinet du tribunal régional de Dakar.

C’est ainsi que le parquet a saisi par un réquisitoire introductif le doyen des juges d’instruction du tribunal régional, au courant de l’année 2008. Le juge a été relancé, au courant du mois juin 2010, par le parquet qui lui a déposé un réquisitoire supplétif, lui ordonnant de poursuivre l’instruction du dossier, portant sur le chef d’inculpation principal de recel de documents administratifs et privés, appartenant à la LONASE.
Le 10 juillet 2010, le juge saisi a convoqué et entendu le confrère Abdou Latif Coulibaly et lui a notifié son inculpation. Il a décidé de l’inculpation du journaliste, mais l’a cependant laissé en liberté provisoire, en attendant de boucler son instruction.

Cette inculpation appelle de la part du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (CDEPS) un certain nombre de remarques :

1) Cette inculpation qui a été ordonnée sur la base du chef d’inculpation de recel de documents constitue dans son fond une atteinte grave au principe de droit qui assure dans le droit positif sénégalais une protection absolue aux sources du journaliste.

Une telle protection ne peut pas être organisée et garantie par la loi et qu’un juge puisse, en même temps, ouvrir une procédure d’instruction pénale contre le journaliste sur la base de recel de documents administratifs. Une procédure qui, conduite à terme, remettrait fondamentalement en cause cette protection et cette garantie prévue dans la loi.

2) Cette protection organisée par la loi, à propos des sources du journaliste, est absolue. Elle concerne à la fois les sources dynamiques (sources humaines) et les sources statistiques (document divers : écrits, sonores et audiovisuels). Par conséquent, nul ne peut en discuter au cours d’une quelconque procédure, sans remettre en cause, et de façon substantielle, la protection apportée par la loi ;

3) La loi qui a été adoptée au Sénégal, en juin 2006 portant organisation, mécanismes et conditions d’un accès libre des citoyens à l’information, apparaît, aujourd’hui, comme un obstacle juridique disqualifiant la procédure engagée contre notre confrère Abdou Latif Coulibaly ;

4) La Constitution sénégalaise, également, en particulier dans son article 8, enlève toute légitimité à cette procédure et remet substantiellement en cause sa base légale.

Au regard de l’ensemble de ces considérations juridiques et tenant compte du contexte actuel dans lequel se déroule un processus de réflexion et d’élaboration d’un nouveau code de la presse, dont la philosophie de base repose sur l’idée d’un approfondissement des libertés des journalistes, le CDEPS considère que la procédure ouverte contre le journaliste Abdou Latif Coulibaly, Directeur de Publication du journal La Gazette, constitue une entrave grave et inacceptable au libre exercice du métier de journaliste au Sénégal.

Le CDEPS s’étonne et s’insurge d’autant plus contre les poursuites ordonnées contre le journaliste, que le dossier global de cette affaire et les faits qui lui valent aujourd’hui son inculpation, ont été par ses soins transmis, aux fins d’enquêtes, à la Commission nationale de lutte contre la concussion et la corruption au Sénégal (CNLCC).

Et cette dernière a conduit ses propres investigations et a produit un rapport circonstancié au chef de l’Etat à qui elle a demandé de faire poursuivre le Directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (LONASE) et l’ensemble de ses complices qui ont été dénoncés dans le livre du confrère poursuivi.

Ceux qui auraient dû être normalement poursuivis pour répondre de leurs actes devant le juge, semblent, dans le cas d’espèce, bénéficier de la mansuétude des magistrats du parquet, pour tenter de faire punir un journaliste qui n’a fait rien d’autre que son métier d’informer.

Le CDEPS appelle le parquet à mettre un terme à cette procédure et exhorte le gouvernement à engager, sans délai, une discussion franche et utile, pour donner un sens plus concret au principe de droit de la protection des sources du journaliste, telle que définie et consacrée par le droit positif sénégalais.

Le CDEPS invite le comité scientifique qui travaille sur la réforme du code de la presse à trouver une solution de droit réaliste, pour régler dans le code en élaboration la grave contradiction qui existe entre le principe de protection des sources du journaliste et les lois pénales qui prévoient et répriment le délit de recel de documents.

Le CDEPS assure son soutien directeur de publication de « La Gazette » inculpé et réitère son engagement à œuvrer, sans relâche, pour l’aménagement d’un cadre et d’un espace médiatique garantissant de meilleures conditions d’exercice du métier de journaliste et de meilleures conditions d’existence et d’épanouissement de l’entreprise de presse au Sénégal.

Le CDEPS apporte son soutien aux responsables de l’Imprimerie Monteiro qui injustement ont aussi fait l’objet d’une inculpation dans cette affaire. L’inculpation de l’imprimeur apparait simplement comme un procédé d’intimidation à l’endroit des imprimeurs.

Le CDEPS appelle toutes les personnes soucieuses de la protection de la liberté d’expression à s’associer à cette œuvre.

Fait à Dakar, le 20 juillet 2010
Le CDEPS