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Pr. Marie Soleil Frère de l’Université Libre de Bruxelles « Les journalistes comprennent mal la dépénalisation du délit de presse »

mardi 6 décembre 2011

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Professeur Marie Soleil Frère est bien connu dans le milieu intellectuel burkinabè en particulier dans la famille de la presse. Eminent professeur de l’Université Libre de Bruxelles, elle a animé plusieurs conférences en Europe et en Afrique sur des thèmes variés en rapport avec la liberté de la presse, la presse en période électorale, le journalisme d’investigation et d’opinion, etc. A l’occasion de la tenue de la 4e édition du Festival international de la liberté d’expression et de presse (FILEP) qui s’est tenu du 23 au 26 novembre 2011 à Ouagadougou, elle a été invitée à donner une communication sur  : « Le rôle des médias dans la transparence des élections en Afrique centrale ». Nous avons saisi l’opportunité pour qu’elle nous parle du concept de la liberté de presse et son regard sur la presse burkinabè


Hebdo du Burkina : Pr. Marie Soleil Frère, quel éclairage pouvez-vous nous donner sur le concept de la liberté d’expression et de la presse  ?

Pr. Marie Soleil Frère (MSF)  : Lorsqu’on regarde un peu la situation sur le continent africain, on voit que la liberté d’expression a progressé de manière très importante depuis une vingtaine d’années avec l’émergence des journaux, des radios et des télévisions privés. Cette progression est indéniable. Mais nous constatons aussi qu’il reste un certain nombre de problèmes dans certains pays qui connaissent des difficultés de fonctionnement.

Par exemple, au Congo Démocratique qui est en pleine campagne électorale, certains médias qui donnent la parole à des candidats de l’opposition ont rencontré de sérieux problèmes ces derniers temps.

On voit que la liberté d’expression a progressé mais qu’il y a toujours toute une série de difficultés qui se posent et qui sont à la fois des difficultés liées aux violations des droits de journalistes par les autorités publiques, par les structures militaires, des milices, des mouvements armés dans des pays qui connaissent des contextes d’instabilité comme la Somalie.

Il y a aussi des difficultés qui sont liées aux problèmes de développement économique. Parce que la liberté d’expression d’une part veut dire de s’exprimer librement, mais pour pouvoir s’exprimer librement il faut aussi pouvoir mettre sur le marché des médias viables.

Donc, la viabilité économique des radios, des journaux et des télévisions. Dans certains pays, cette viabilité pose problème. Donc, la liberté de la presse est aussi une survie économique.

Professeur, avec le multipartisme, on constate que bon nombre de médias africains sont de plus en plus engagés et en faisant souvent fi de l’éthique et de la déontologie de la pratique journalistique. Dans un tel contexte, est-il opportun de parler de la dépénalisation des délits de presse en Afrique  ?

Je pense qu’on ne peut avancer sur le chantier de la dépénalisation que si on avance parallèlement sur le chantier de l’autorégulation. Par rapport aux dérives et aux violations de la déontologie qui peuvent être parfois aussi des violations de la loi par exemple, la diffamation, les injures. On pourrait envisager la dépénalisation, c’est-à-dire qu’on pourrait envisager qu’il n’y ait plus de peine privative de liberté pour les journalistes qui seront coupables de ce type de délits.

Mais je pense qu’il faut que alors l’autorégulation soit performante, c’est-à-dire qu’il faut que les journalistes fassent la démonstration qu’ils peuvent mettre en place un conseil de presse ou un observatoire ou une instance d’autorégulation capable de rappeler à l’ordre les journalistes qui violent les principes du métier.

Parce que la dépénalisation n’est pas une solution à tous les problèmes en ce sens que le journaliste n’est pas au-dessus des lois. Même si on dépénalise les délits de presse, un journaliste qui est coupable d’injure ou d’atteinte à la sécurité de l’Etat peut tomber sur le coup d’autres lois (du code pénal) et être poursuivi sur une autre base juridique. Souvent les journalistes comprennent mal la dépénalisation. Ils pensent que la dépénalisation signifie que le journaliste ne pourra plus être poursuivi du tout par la justice.

Alors que la dépénalisation signifie la fin de peine privative de liberté, donc c’est un chantier qui est important, mais il ne faut pas que les journalistes pensent que ça va ouvrir la porte et tout sera permis parce qu’ils ne seront plus passibles de peine de prison.

La quatrième édition du FILEP vient de se tenir sur le thème : « Média, élection, démocratie et bonne gouvernance en Afrique ». Selon vous, quelles sont les entraves qui empêchent la presse africaine d’être réellement libre  ?

Les entraves diffèrent selon les pays. Vous avez des pays où la liberté de pouvoir s’exprimer, de pouvoir dire ce que l’on pense, de mener des investigations et publier les résultats de ces investigations posent encore des problèmes.

Dans certains pays, la liberté et les droits des journalistes ne sont pas respectés. Et puis, la liberté est aussi menacée par le contexte économique. C’est un contexte qui n’est pas favorable et cela est perceptible à travers le tirage des journaux. On remarque que des journaux privés qui ont eu des tirages très élevés dans les années 90 où les citoyens avaient soif de débat démocratique payaient les journaux. Maintenant, les gens font face à un vécu quotidien qui devient de plus en plus difficile.

Pour le cas du Burkina, c’est très clair les gens sont confrontés à un problème de survie quotidien et s’il y a quelque chose à sacrifier, c’est bien sûr l’achat du journal. Donc le contexte économique n’est pas favorable au développement de l’entreprise de presse. Parce que le public lui-même rencontre des problèmes de survie et préfère sacrifier l’information ou le divertissement et privilégier l’éducation des enfants, la santé et la survie quotidienne.

Professeur, vous connaissez bien le paysage médiatique burkinabè, quel est votre regard sur l’évolution des médias du Burkina  ? Y a-t-il eu progrès ou régression dans le traitement de l’information ?

Je pense qu’au niveau technique il y a un certain nombre d’organes qui progressent dans leurs présentations au niveau des journaux dans leur iconographie, etc. Au niveau des radios, dans les grilles de Programme, plus de propos déplacés, etc. mais des progrès qui sont dus aussi aux progrès techniques et technologiques.

Mais au niveau du fond, j’ai comme l’impression que la presse est en difficulté pour des raisons économiques qui ne lui permettent pas de collecter des informations très performantes. On voit aussi que la presse burkinabè est complètement pénétrée dans les pratiques de reportages rémunérés. En écoutant par exemple le journal parlé, on se rend compte que les reportages ont été payés à la source (voire le commanditaire).

Donc ce n’est pas de l’information. Je pense aussi que les animateurs des médias ont d’énormes charges qui pèsent sur eux au regard de leurs salaires. Si on veut vraiment améliorer la presse, il faut aussi songer à améliorer le salaire quotidien des journalistes.

Mais il faut reconnaître que c’est un problème de la société en général. Quand on voit le salaire d’un instituteur burkinabè et le prix du sac de 50 kg de riz, on se demande aussi comment l’instituteur peut survivre. Or, l’instituteur est aussi important pour l’évolution du Burkina que le journaliste.

Propos recueillis par Théodore ZOUNGRANA

Tzoungrana@yahoo.fr